Des conséquences directes se sont fait sentir sur les services offerts à la population ainsi que sur les conditions dans lesquelles des milliers de travailleuses et de travailleurs exercent leur profession. La négociation pour le renouvellement des conventions collectives des salarié-es du secteur public n’échappe pas à ces grandes tendances.
Tant dans les secteurs de l’éducation et de la santé et des services sociaux que dans les organismes gouvernementaux ou dans la fonction publique, les comités patronaux ont tous déposé des demandes de reculs (ou soulevé des « problématiques » menant à des reculs) attaquant directement les conditions de travail des travailleuses et des travailleurs et leur capacité à offrir des services de qualité.
Disponibilité, flexibilité, mobilité
Depuis quelques années, le réseau public fait face à des problèmes grandissants de pénurie et de rareté de main-d’œuvre. Ainsi, le gouvernement voudrait maximiser la disponibilité du personnel en accroissant sa flexibilité et sa mobilité par la révision de certaines clauses des conventions collectives. Par exemple, la partie patronale a formulé une demande visant à permettre aux employeurs d’imposer unilatéralement, sans consultation, des horaires atypiques afin de répondre à ses besoins de main-d’œuvre. La semaine de travail pourrait même être étalée sur « plus de cinq jours ».
Les heures supplémentaires sont également dans la mire du gouvernement. Ce dernier voudrait cesser de payer les heures effectuées après un quart normal de travail en étalant sur une semaine, voire sur une période de paye, le nombre d’heures normales. Ce ne sont que les heures travaillées en surplus sur cette période étalon qui seraient considérées comme supplémentaires. Comme le mentionne Francine Lévesque, vice-présidente de la CSN, le gouvernement « aborde les problèmes complètement à l’envers. La pénurie de main-d’œuvre provoque un surplus d’heures supplémentaires et des excédents de coûts ? Pas de problème, nous dit le gouvernement, on va abolir le paiement des heures supplémentaires après un quart normal de travail. On a de la difficulté à trouver du personnel dans certaines régions ? Abolissons les primes de rétention instaurées pour répondre à ces situations particulières. Ce sont des mesures qui nous ramèneraient 30 ans en arrière. »
Le mirage du privé
Nos services publics ne souffrent pas seulement de leur sous-financement, mais également de leur mal-financement. L’actualité nous a offert son lot d’exemples de gaspillage des deniers publics dans la collusion, la corruption et le copinage. Les effets de la sous-traitance, de l’octroi de contrats en partenariats public-privé et du recours aux agences de placement sont bien documentés : perte d’expertise à l’intérieur de nos réseaux, dégradation de la qualité des services à la population et hausse de coûts pour l’État. Pourtant, le gouvernement persiste encore aujourd’hui dans sa volonté de privatiser notre réseau public : dans le cadre des négociations, le gouvernement souhaite abolir les lettres d’entente qui posent des balises au recours au privé.
Au diable l’autonomie professionnelle
Le mal-financement de nos réseaux publics s’exprime également par une croissance du nombre de cadres supérieure à celle du nombre des personnes salariées. Entre 2003 et 2013, le nombre de cadres dans le réseau de la santé a augmenté de plus de 26 % — une croissance deux fois plus importante que celle des salarié-es. L’importation des modes de gestion du secteur privé a, en effet, entraîné une explosion de l’encadrement et des modes de reddition de comptes. L’implantation dans nos réseaux de la nouvelle gestion publique a provoqué une multiplication des contrôles administratifs du travail des salarié-es. Dans certains cas, jusqu’à un tiers de ce temps de travail est consacré à compiler des statistiques et à remplir une multitude de rapports. Autant de temps de travail qui n’est pas consacré aux services à la population.
Par exemple, dans le réseau de la santé et des services sociaux, les employeurs ont indiqué vouloir poursuivre « leurs processus d’optimisation des ressources », notamment avec des indicateurs permettant de mesurer la durée du bain d’un bénéficiaire.
En éducation, cette tendance se traduit entre autres par une volonté des directions générales de s’ingérer dans la gestion quotidienne du personnel enseignant des cégeps. En effet, depuis 40 ans, les enseignantes et les enseignants de cégep élisent la coordination de leur département et celle de leur comité de programme. Une façon de faire qui assure la collégialité des décisions et qui respecte leur autonomie professionnelle. Les directions de cégep tentent d’y mettre un terme et de nommer elles-mêmes les coordinations.
Trop chère, l’assurance salaire
Les coupes répétitives ont également un effet négatif sur la qualité de vie au travail des travailleuses et des travailleurs. Les charges de travail s’alourdissent et les divers processus de réorganisation du travail ne visent, trop souvent, qu’à accélérer les cadences. L’accentuation de la morosité dans les milieux de travail n’est pas étrangère à l’augmentation des cas d’épuisement professionnel et de l’absentéisme au travail. Il n’est donc pas étonnant que les coûts de l’assurance salaire aient augmenté de façon significative au cours des dernières années : ils ont atteint 389,6 millions de dollars en 2013.
Plutôt que de s’attaquer aux sources des problèmes, le gouvernement propose de restreindre l’accès à l’assurance salaire, en plus d’en réduire les bénéfices, dont la durée et les prestations. Il voudrait également retirer aux salarié-es absents pour cause d’accident ou de maladie le droit de recevoir leurs prestations lorsque le diagnostic est contesté par l’employeur. Enfin, un employé devrait vider sa banque de congés avant de pouvoir toucher des prestations d’assurance salaire.
Un entêtement idéologique
Les comités patronaux sectoriels refusent de s’attaquer aux enjeux et aux problèmes qui menacent la qualité et l’accessibilité de nos services publics. Plutôt que d’entendre les solutions de milliers de travailleuses et de travailleurs du secteur public, ceux-là même qui détiennent l’expertise, les comités patronaux s’entêtent, de manière idéologique, à tenter de réaliser des économies de bouts de chandelle.