Lorsqu’en février dernier, le premier ministre Philippe Couillard annonce l’octroi du contrat du REM au consortium dirigé par SNC-Lavalin et Alstom, le contenu local, canadien et québécois pour la portion construction s’annonce intéressant. Toutefois, en ce qui concerne le matériel roulant, les garanties ne sont pas au rendez-vous. Et qu’en est-il des autres projets publics d’envergure ?
Alors qu’un vent de protectionnisme souffle dans le monde en général, et chez nos voisins du Sud en particulier, le Québec s’aligne sur la défense coûte que coûte d’un libéralisme économique. Pourtant, l’exigence d’une proportion locale importante de contenu dans l’octroi des contrats publics semble acquise et normale dans plusieurs juridictions. Pourquoi n’en est-il pas ainsi au Québec ?
Le Buy american act
L’arrivée de Trump à la présidence américaine — soufflant à tout vent sur les braises du nationalisme économique — n’augure rien de bon pour les entreprises exportatrices québécoises. Déjà en 2008, Obama avait renforcé le Buy american act ; ces dispositions protectionnistes risquent de s’amplifier considérablement avec l’administration Trump. À titre d’exemple, depuis le 1er octobre 2017, le seuil de contenu américain dans les contrats de transport public est passé à 65 % et se hissera à 70 % à compter d’octobre 2019. Des règles similaires s’appliquent à d’autres secteurs, dont l’aviation civile. Selon un rapport de recherche mené par la CSN, « [ces règles] ont pour ultime but de forcer les entreprises étrangères, canadiennes ou québécoises qui désirent être présentes sur le marché américain à revoir leur chaîne d’approvisionnement, ce qui peut sous-entendre à produire une plus grande partie de leur production aux États-Unis ou à accroître leurs relations d’affaires avec les fournisseurs américains. »
Avec la fermeture de la frontière américaine à nos produits, les contrats publics d’envergure canadiens et québécois sont une occasion de consolider et de développer le secteur industriel. « Le secteur industriel québécois est diversifié et riche d’une grande expertise. Aussi, l’absence de mesures pour garantir le contenu local s’explique mal, soutient Louis Bégin, président de la FIM–CSN. Nous construisons un pont avec de l’acier d’Espagne, qui semble présenter plusieurs problèmes, alors que de nombreuses entreprises d’ici produisent de l’acier de qualité. »
À la CSN, bien que l’on comprenne que des règles existent en matière de commerce international, on s’inquiète des répercussions sur la préservation de l’expertise industrielle. « C’est normal qu’il y ait des règles, et souvent nos entreprises réussissent à s’imposer à l’international. Toutefois, sans un minimum de garanties de contenu local, on ne joue pas à armes égales, affirme Pierre Patry, trésorier de la CSN. En raison des exigences imposées à l’étranger, les entreprises doivent revoir leur organisation de production. Ultimement, cela affaiblit le développement industriel du Québec. »
Un levier pour les régions
En plus d’assurer le maintien et le développement de l’expertise québécoise, l’exigence de contenu local dans les contrats publics aurait un effet de levier sur le développement régional. Pierre Patry estime que « pour chaque entreprise et chaque emploi directement lié à un contrat, il y a une région qui profite de nombreux effets indirects. C’est tout un écosystème économique qu’on préserve et qu’on développe lorsqu’on stimule nos industries. Après avoir été mis à mal dans les dernières années, le développement régional en aurait bien besoin. »
Alors que le monde se tourne vers plus de protectionnisme, alors que les surplus budgétaires semblent être au rendez-vous et que l’on annonce de plus en plus de grands projets, notamment en mobilité, il est grand temps de se questionner sur la place que doit y occuper le contenu québécois. Financés à même les fonds publics, ces projets doivent profiter à l’ensemble de la collectivité en soutenant le développement industriel et le développement régional.