C’est la conclusion à laquelle en arrivent la CSN et trois autres centrales syndicales (CSD, FTQ, CSQ) dans un mémoire commun déposé le 27 janvier dernier à la Commission de l’économie et du travail.
Déposé le 10 novembre 2015 par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) de l’époque, Sam Hamad, le PL70 prévoit le remplacement du Programme alternative jeunesse (intégration en emploi) par le Programme objectif emploi. Ce dernier se veut plus coercitif et punitif envers les nouveaux demandeurs d’aide sociale. Il prévoit une démarche d’accompagnement et d’intégration en emploi sous peine de sanction financière. Ainsi, le chèque d’un prestataire d’aide sociale pourrait être amputé si ce dernier refusait un emploi « convenable » situé loin de son domicile.
Les plus démunis durement touchés
Ce projet de loi ne tient nullement compte des obstacles liés à la pauvreté et à l’exclusion sociale. Ce n’est sûrement pas en forçant le déracinement des gens de leur communauté sous la menace de réduire le montant des prestations déjà insuffisantes qu’on va favoriser une intégration en emploi durable.
« On continue à nourrir les préjugés envers les personnes les plus démunies. C’est comme si ces gens profitaient du système parce qu’ils reçoivent de l’aide sociale et qu’ils sont chez eux. Pourtant, ce n’est pas le cas. Le gouvernement fait d’une situation humaine complexe, un calcul comptable. Dans la réalité, tout le monde veut travailler, c’est une question de dignité humaine, mais il y a plusieurs facteurs qui font en sorte qu’une personne ne peut pas travailler. On s’attaque aux plus démunis et ça, c’est inacceptable », s’indigne Véronique De Sève, vice-présidente de la CSN.
« Ce qu’on voit, c’est une méconnaissance totale du contexte économique au Québec. On est loin du plein emploi. On sait que, dans la conjoncture, le système serait incapable d’absorber toutes les personnes en recherche d’emploi. […] On voit que c’est un projet de loi qui est entièrement basé sur des préjugés. Nous, ce qu’on constate sur le terrain, ce sont des gens volontaires qui sont prêts à prendre des mesures de réinsertion pour s’en sortir, mais ces mesures doivent être bien adaptées aux besoins, aux capacités et aux aspirations des gens et elles doivent leur permettre de réellement se sortir de la pauvreté », ajoute de son côté Émilie Joly, organisatrice communautaire au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) et co-porte-parole de la Coalition objectif dignité.
Les organismes sociaux qui se portent à la défense des personnes assistées sociales, et qui ont déjà goûté aux différentes mesures d’austérité du gouvernement Couillard, comptent s’opposer bec et ongles à ce nouveau projet de loi. Déjà, des citoyens et des citoyennes de huit régions du Québec ont fait entendre leur voix le 10 février dernier afin de faire reculer le gouvernement sur ce projet de loi jugé indigne par l’ensemble des manifestants.
« Toutes les mesures punitives prévues pour les personnes assistées sociales reviennent à considérer ces gens comme des citoyens de seconde zone. Le ministre veut maintenant les obliger à se plier à ces mesures et pour nous, c’est la chose qui ne doit absolument pas arriver […] Avec la recherche de la Commission des droits de la personne, on a vu qu’environ la moitié de la population a une opinion négative des personnes assistées sociales et le gouvernement, à travers ses interventions médiatiques, a renforcé ces préjugés-là », explique Yann Tremblay-Marcotte, coordonnateur au Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ) et co-porte-parole de la Coalition objectif dignité.
De précieux collaborateurs écartés
Le projet de loi relègue par ailleurs les partenaires habituels du monde de l’emploi, dont la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT), à un rôle de consultation. La CSN réitère qu’une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi doit invariablement passer par la participation active de ces collaborateurs habituels.
Il existe pourtant déjà une grande collaboration entre le ministère de l’Éducation et les partenaires du marché du travail, représentés notamment au sein de la CPMT et des comités sectoriels de main-d’œuvre, ainsi qu’Emploi-Québec. Les processus d’élaboration, d’évaluation et de révision des programmes de formation professionnelle et technique en sont de bons exemples.
Déresponsabilisation des entreprises
Le projet de loi s’inscrit dans la foulée des annonces qui ont été faites en mars 2015 dans le discours sur le budget. On y trouve d’ailleurs une réduction du nombre d’entreprises ayant l’obligation d’investir dans la formation. Cette décision a pour effet, qu’aujourd’hui, à peine 8000 entreprises sur plus de 230 000 ont des obligations quant à la formation de leur personnel. Le projet de loi étend à la main-d’œuvre future l’application de la Loi sur la formation, mais se désengage de ses responsabilités envers les personnes en emploi.
« C’est à une véritable déresponsabilisation de l’entreprise en matière de formation de la main-d’œuvre que nous assistons. Il va sans dire que nous sommes inquiets du contenu du projet de loi 70. S’il est adopté dans sa forme actuelle, les intérêts des entreprises auront préséance sur les besoins des personnes démunies, ce qui est inadmissible et irresponsable selon nous », clame Jean Lortie, secrétaire général de la CSN.
Ce projet de loi comporte plusieurs zones d’ombre, car il manque plusieurs éléments d’information afin de bien l’évaluer, ce qui en soi ajoute aux inquiétudes. Le gouvernement précise qu’il procédera par adoption de règlements pour définir ces éléments flous.
« Il (le gouvernement) nous présente un projet de loi plein de trous et il nous dit “on va remplir ça avec des règlements par la suite”. On parle de coupes, mais on ne donne pas de montant. On définit un nouveau concept d’emploi convenable à accepter obligatoirement, mais on ne définit jamais le principe d’emploi convenable. On met en avant un plan d’intégration en emploi, mais on n’a aucune idée de la façon dont il sera développé. Ce que le gouvernement nous dit, c’est “faites-nous confiance”, alors que cette administration ne nous a jamais démontré qu’elle était digne de confiance », ajoute Mme Joly.
Dénonciation généralisée
Le Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN), tout comme les nombreuses organisations qui s’opposent au projet de loi 70, appréhende les difficultés qu’engendreront les mesures contenues dans celui-ci.
« Ce projet de loi touchera notamment des jeunes et des personnes issues de l’immigration récente. En sabrant les budgets de l’aide sociale, on prive de ressources des personnes en situation de grande précarité. Le PL70, c’est l’injustice austère des libéraux qui frappe encore plus fort les plus mal pris, se désole la présidente du CCMM-CSN, Dominique Daigneault. C’est à la pauvreté qu’il faut s’attaquer, pas aux pauvres ! »
Le CCMM-CSN s’inquiète également des nombreux pouvoirs que le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale s’arroge avec le projet de loi 70. « Nous sommes très préoccupés par la centralisation des pouvoirs qu’exercent les ministres du gouvernement libéral depuis leur élection. Après l’abolition de nombreux espaces de concertation, les libéraux poursuivent leur opération de destruction de l’État québécois qu’il a fallu des décennies à construire », conclut la syndicaliste.