L’image est frappante. Tout juste avant de prendre part à la conférence de presse annonçant les mesures demandées au gouvernement afin de soutenir le secteur de l’information, Karine Tremblay, vice-présidente de la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC–CSN), parcourt ses notes en longeant les corridors de la Tribune de la presse du Parlement de Québec. Derrière elle, les murs sont ornés de mosaïques photo. Sur les photos en question figurent, année après année, les membres de l’association centenaire qui regroupe, tous médias confondus, les journalistes ainsi que les techniciennes et les techniciens affectés à la colline parlementaire. De 110 membres en 2003, on en dénombrait… 54 l’an dernier.
Une dégringolade à l’image de celle subie par l’ensemble du secteur de l’information, fait remarquer Karine Tremblay. À La Tribune de Sherbrooke, où elle travaille comme journaliste depuis plus de 20 ans, tout comme dans les cinq autres quotidiens transformés en coopératives lors de la faillite du Groupe Capitales Médias, c’est près de 30 % du personnel qui a souscrit au programme de départ volontaire l’an dernier.
Les impacts sont particulièrement dévastateurs dans les régions du Québec, qui subissent encore les contrecoups de la fermeture de nombreux hebdos. Le groupe TVA, qui annonçait en novembre l’abolition de 547 postes, mettra fin à la production de ses bulletins de nouvelles en région – ceux-ci seront dorénavant tournés dans les studios de Québec. En plus de se départir de 45 stations de radio, dont 7 sont situées au Québec, Bell Média a aussi mis la hache dans ses salles de rédaction : c’est le cas à la station CFIX au Saguenay–Lac-Saint-Jean, où la seule journaliste du groupe a vu son poste être aboli.
« Les salles de rédaction fondent à vue d’œil. Il y a de moins en moins de journalistes pour couvrir l’actualité régionale, municipale, culturelle et économique… C’est autant de voix citoyennes qu’on entend moins en raison du nombre de journalistes qui s’effrite », déplore Karine Tremblay.
Des mesures à la hauteur de la crise
Tout l’écosystème de production et de diffusion de l’information locale a été déstabilisé par l’arrivée dévastatrice des barbares du numérique. En 10 ans seulement, ceux-ci sont parvenus à aspirer les trois quarts des revenus publicitaires des médias d’information présents au Québec.
« Seuls les gouvernements du Québec et du Canada ont la capacité structurante nécessaire d’intervenir », estime la présidente de la CSN, Caroline Senneville. « Il en va de notre accès à l’information, de nos droits démocratiques et du rayonnement social, économique et culturel de nos communautés. »
Instauré il y a cinq ans à la suite de représentations effectuées par la CSN et la FNCC–CSN, le crédit d’impôt sur la masse salariale de la main-d’œuvre journalistique, qui s’applique seulement à la presse écrite, doit maintenant être élargi aux salles de rédaction radio et télé, considère la CSN.
La centrale syndicale demande également à Québec de mettre sur pied un fonds consacré au soutien de l’ensemble du secteur de l’information. Un tel fonds serait financé par l’instauration d’un infofrais de 2 % prélevé sur les achats d’appareils munis d’un écran (téléphones, tablettes, ordinateurs) et des services Internet et mobiles. À l’échelle du Québec, une telle redevance entraînerait des revenus de l’ordre de 200 millions par année.
Les paramètres de ce fonds de soutien à l’information doivent être établis par l’ensemble des acteurs du milieu, tout comme ses mécanismes de reddition de compte et les objectifs précis auxquels il devra s’atteler, fait remarquer la présidente de la FNCC–CSN, Annick Charette. « Il faut s’assurer de mettre en place des mesures qui garantiront le réinvestissement des sommes publiques directement dans la production de l’information », indique-t-elle.
Tout comme le gouvernement du Québec a une obligation d’assurer la découvrabilité1 des contenus culturels produits ici, il a aussi le devoir de garantir la continuité des opérations des salles de rédaction, estime Caroline Senneville.
« Le Québec a son histoire, sa langue, sa culture : notre identité collective ne demeurera assurée qu’en conservant notre capacité à produire de l’information sur nos différentes réalités », conclut la présidente de la CSN.