Au printemps dernier, les militantes et les militants de la CSN de partout à travers le Québec ont profité des congrès des conseils centraux pour dresser un bilan de l’action syndicale des trois dernières années et débattre des orientations pour leur région respective. Rencontres triennales où se côtoient les luttes du premier et du deuxième front par le biais de conférences, de débats et de rassemblements militants. Ces congrès, fortement ancrés dans les réalités régionales, ont enthousiasmé les membres venus par centaines.
Un retour sur l’importante lutte contre l’austérité menée par la CSN et ses divers partenaires était à l’ordre du jour de tous les congrès. Dans un premier temps, les conseils centraux ont dressé un bilan des multiples actions auxquelles ont participé les militantes et les militants dans le cadre de la campagne confédérale Refusons l’austérité. Puis, des conférences sur les différentes facettes de l’austérité ont nourri les débats et les exercices de réflexion.
Invitée par le Conseil central de l’Estrie, Aurélie Lanctôt, journaliste et auteure de l’essai Les libéraux n’aiment pas les femmes, est venue discuter avec les congressistes des conséquences catastrophiques des politiques d’austérité sur les femmes qui se trouvent à subir deux fois plutôt qu’une les contrecoups des compressions : une première fois en tant que travailleuses majoritaires dans les réseaux de l’éducation et de la santé et des services sociaux et une deuxième fois en tant que principales utilisatrices des services publics.
Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, c’est par l’axe de la privatisation du système de santé et de services sociaux qu’on a abordé le thème de l’austérité. Avec des intentions à peine cachées de déconstruction de l’État, les libéraux affament les réseaux publics à coup de compressions majeures pour ensuite dénoncer les ratés desdits réseaux et vanter les mérites du privé. Une stratégie sournoise, bien illustrée par la présentation d’Anne Pineau, adjointe au comité exécutif de la CSN.
Depuis quelques années, les politiques d’austérité font aussi des ravages ailleurs sur la planète. Particulièrement touchés par d’importantes vagues de compressions budgétaires, plusieurs pays d’Europe ont vu naître de grands mouvements citoyens et des coalitions politiques se sont formées pour défendre les missions de l’État. Invité par le conseil central de Montréal, Manuel Espinar Anonuevo, membre du parti politique Podemos, est venu partager avec les militantes et militants de la CSN les réflexions et les moyens d’action du parti progressiste espagnol qui a obtenu plus de 20 % des voix aux dernières élections générales. Un nouvel éclairage fort à propos sur la lutte pour une société plus juste.
Syndicalisme d’aujourd’hui et de demain
Il n’y a pas que les radio-poubelles qui remettent en question la pertinence du syndicalisme en 2016. Le vent de droite qui souffle sur le Québec depuis quelques années participe à la construction d’un discours antisyndical qui prend de plus en plus de place dans l’espace public. Invité à titre de conférencier dans plusieurs régions, Gérald Larose, président de la CSN de 1983 à 1999, a livré un vibrant plaidoyer pour un mouvement syndical fort. Selon M. Larose, la conjoncture demande plus que jamais que les membres occupent le terrain et travaillent à déconstruire l’argumentaire néolibéral qui nuit aux travailleurs.
Sollicité aussi par plusieurs conseils centraux, Christian Nadeau, professeur titulaire au département de philosophie de l’Université de Montréal, a quant à lui abordé le thème de la démocratie syndicale. Est-ce un mythe ou une réalité? La base militante se sent-elle partie prenante des stratégies syndicales ? M. Nadeau a donné quelques pistes de réponse en suggérant, par exemple, de multiplier les espaces de discussions libres afin de permettre à toutes et à tous de développer des compétences politiques. Toujours selon M. Nadeau, ce sont ces compétences qui permettront un renforcement des pouvoirs citoyens, vecteurs de transformation sociale.
À l’intérieur de nos rangs aussi, des militantes et militants critiquent les pratiques syndicales actuelles et se demandent à quoi pourrait ressembler un syndicalisme renouvelé. C’est sur cette base que le polémiste Marc-André Cyr, chargé de cours en sciences politiques à l’UQAM, est venu discuter avec les membres des Laurentides. Son intervention en faveur d’un syndicalisme plus combatif a suscité diverses réactions auprès des congressistes, preuve qu’il y a là matière à réflexion pour les années qui viennent.
Ces questionnements sur nos façons de faire et de concevoir le syndicalisme d’aujourd’hui ont donné lieu à des débats animés, desquels ont émergé un consensus : le syndicalisme est bien vivant et toujours d’actualité à travers tout le Québec.
Le développement régional au cœur de l’action syndicale
La décision du gouvernement Couillard, à l’automne 2014, d’abolir les centres locaux de développement (CLD) et les conférences régionales des élus (CRÉ) a eu des répercussions importantes sur la vie régionale. En plus des pertes d’emplois, ces fermetures ont entraîné d’importantes difficultés de financement et de concertation pour les organismes des régions. De plus, certaines régions, comme l’Abitibi-Témiscamingue et la Côte-Nord, ont été frappées de plein fouet par la chute des prix des matières premières. Ce ralentissement mondial amène aujourd’hui les régions à envisager une transition du modèle économique basé sur les richesses naturelles et manufacturières vers une économie de services.
C’est d’ailleurs pour souligner l’importance du secteur public pour l’économie des régions ressources que le Conseil central Côte-Nord a invité le professeur au Département de relations industrielles de l’Université Laval, Jean-Noël Grenier. M. Grenier a rappelé aux congressistes que le gouvernement est souvent le plus gros employeur d’une région, comme c’est d’ailleurs le cas sur la Côte-Nord. Les revenus gagnés par ces travailleuses et ces travailleurs sont ensuite dépensés dans les commerces locaux, qui à leur tour embauchent des gens du coin. Un cycle qui fonctionne et qui influence positivement l’économie régionale.
Au Bas-Saint-Laurent, le développement régional a été abordé via le développement des arts et de la culture. Shanti Sarrazin, coordonnatrice à la culture et aux communications pour la MRC Rimouski-Neigette, est venue présenter aux membres de la région des pistes de solution pour contrer la dévitalisation des communautés. Selon Mme Sarrazin, une activité culturelle dynamique et la mise en valeur du patrimoine contribuent à la construction d’une identité régionale forte, facteur d’attraction et de rétention pour les citoyennes et citoyens.
Le nécessaire virage écologique
Les enjeux environnementaux ont aussi fait l’objet de discussions fort intéressantes. Invité par le Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches, Steven Guilbeault, cofondateur et directeur principal d’Équiterre, a tenu à rappeler l’importance pour le mouvement syndical de contribuer activement à la lutte aux changements climatiques en travaillant à la nécessaire transition vers les énergies renouvelables, que ce soit par un soutien aux actions locales ou par une participation aux concertations régionales et nationales sur le développement durable.
Plusieurs conseils centraux ont porté une attention particulière à l’empreinte écologique de leur congrès. La rencontre triennale du Conseil central de l’Abitibi-Témiscamingue–Nord-du-Québec a d’ailleurs reçu la certification « Congrès Vert ». Pour ce faire, l’organisation a travaillé avec une OBNL de la région, le groupe ÉCOcitoyen, qui a évalué le congrès en se basant sur une norme environnementale qui prend en considération plusieurs éléments tels l’origine des objets promotionnels, la nourriture et les sources d’énergie. Les congressistes ont aussi reçu des arbres et des semences de fleurs afin de compenser les émissions de gaz carbonique résultant de leurs déplacements.
Parmi les autres initiatives en matière de protection de l’environnement, soulignons la remise du prix SPHERE (le prix Syndical et Paritaire pour Honorer un Engagement et une Réalisation Environnementale) par le Conseil central du Cœur du Québec. Ce projet pilote a été mis sur pied afin de souligner les initiatives écologiques des militantes et militants de la région. Pour sa première édition, le concours a été remporté par le STT Mitchel-Lincoln, syndicat d’une entreprise d’emballage, où les employé-es ont mis en place une politique de récupération des courroies de plastique.
Sur le deuxième front
Parmi les enjeux sociaux qui préoccupent les membres à travers tout le Québec, la lutte à la pauvreté tient une place prioritaire. Plusieurs organisations qui travaillent à la réduction des inégalités de revenus concentrent aujourd’hui leurs efforts à promouvoir la revendication pour un salaire minimum à 15 $ l’heure. Cet enjeu a été discuté sur le plancher de plusieurs congrès, et quelques conseils centraux ont adopté une proposition à l’effet de soutenir cette lutte pour un salaire décent. À Montréal, Alex Han, représentant du Service Employees International Union, a rappelé aux membres présents les racines de cette revendication, née aux États-Unis en 2012 avec la campagne Fight for 15, menée par les travailleuses et les travailleurs des chaînes de restauration rapide.
Du pain sur la planche
Les militantes et les militants s’entendent pour dire que les prochaines années ne seront pas de tout repos. Le gouvernement de Philippe Couillard restera au pouvoir au moins jusqu’en octobre 2018, date de la prochaine élection provinciale, et poursuivra vraisemblablement son travail de destruction de l’État québécois. La lutte aux politiques d’austérité demeurera donc une priorité dans toutes les régions du Québec.
Parmi les autres enjeux priorisés par les membres des conseils centraux, on trouve la concertation régionale. Que ce soit par la création d’une coalition progressiste dans les Laurentides, par des démarches concrètes de collectivisation des luttes en Estrie ou par la mise en place d’espaces de consultation publique dans la région de Lanaudière, les moyens sont multiples et les intentions de se solidariser clairement exprimées.
Les congressistes se sont aussi engagés à poursuivre régionalement diverses luttes menées nationalement par la CSN. La promotion des campagnes Un réseau qui fait grandir, contre le démantèlement des services de garde éducatifs et Le droit fondamental de négocier, qui dénonce les changements législatifs du pacte fiscal (PL110), occupera les militantes et les militants au cours des prochains mois.
Des projets particuliers seront aussi à surveiller dans plusieurs régions. Le colloque sur les transports, qui sera organisé par le Conseil central de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, pourrait avoir des échos dans d’autres régions, de même que le Sommet social régional, mis sur pied par le Conseil central du Saguenay–Lac-St-Jean.