Les deux entités sont intimement liées et il est illusoire de penser que d’en achever une n’achèvera pas l’autre, quoi qu’en disent les conservateurs. Sur tout le territoire canadien, l’information locale survit, à peine. Le Québec n’est pas une société distincte sur cette question. Les médias québécois et canadiens connaissent une importante baisse de leurs revenus publicitaires en raison de l’accaparement de ces derniers par les géants du Web, tels que Google et Meta. Depuis quelques années, les fermetures de journaux se comptent par dizaines, les stations de radio et de télévision réduisent partout leurs effectifs et, par conséquent, leur couverture. Dans ce contexte, sabrer dans le financement de CBC/Radio-Canada aurait comme conséquence de confier entièrement aux salles de nouvelles du privé la couverture de tout le territoire.
« On ne peut pas laisser faire cela. C’est non seulement irréaliste, mais aussi dangereux. Les déserts informationnels prennent de plus en plus de place partout au pays, Radio-Canada et CBC sont parmi les seuls qui peuvent en stopper l’avancement », observe Pierre Tousignant, président du Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada–CSN, en rappelant du même souffle que CBC/Radio-Canada diffuse aussi en huit langues autochtones. « Cette particularité lui est propre. Réduire cet accès à de l’information et à du contenu culturel serait tragique pour plusieurs communautés. »
Dans l’équipe des cancres
Une étude de Nordicity réalisée en 2024 nous révélait qu’en 2022, le Canada affichait l’un des plus bas niveaux de financement de la radiodiffusion publique par habitant (32,43 $) parmi les 20 pays occidentaux recensés. Cette étude établit aussi que le Canada fait partie des cancres : il semble que les deux paliers de gouvernement, fédéral comme provincial, n’accordent qu’une priorité faible à la radiodiffusion publique, puisque le financement de cette dernière représente 0,12 % des dépenses publiques totales, ce qui place le Canada au 18e rang sur 20 pays.
CBC et Radio-Canada ont un mandat d’information. Mais, on l’oublie trop souvent, elles ont aussi le mandat d’assurer le rayonnement des initiatives culturelles canadiennes. Menacer la survie du diffuseur public met en danger beaucoup d’actrices et d’acteurs du secteur de l’information, certes, mais aussi une panoplie d’artisans ainsi que des travailleuses et des travailleurs du milieu culturel de partout au pays.
Sommes-nous prêts, comme société, à abandonner la représentation de notre réalité et de notre identité culturelle, celle du Québec comme celle du Canada, aux humeurs des intérêts économiques du secteur privé ou à ceux des multinationales tels Netflix et Disney ? « C’est le danger qui nous guette et nous devons l’avoir en tête quand nous soupesons la valeur de CBC/Radio-Canada. À l’heure où le président américain parle de faire du Canada le 51e État américain, sommes-nous disposés à effacer la spécificité de la culture canadienne et québécoise dans l’espace numérique déjà largement dominé par les productions américaines ? Est-ce la valeur que nous nous accordons ? », se demande Annick Charette, présidente de la Fédération nationale de la culture et des communications–CSN, à laquelle est affilié le syndicat de Radio-Canada.
Mme Charette et M. Tousignant sont persuadés de la nécessité pour le Canada et le Québec d’avoir accès à un média public fort et donc, financé adéquatement. La mission de CBC/Radio-Canada est de garantir l’accès à de l’information de qualité sur l’ensemble de son territoire, jusque dans les foyers québécois et canadiens les plus isolés, et de faire rayonner la culture, autant québécoise que canadienne. Aucun autre diffuseur ne peut remplir ce mandat. Aucun réseau social n’a cette mission. Plus que jamais, CBC/Radio-Canada doit être considéré comme un service public.