Un rapport Godbout-Montmarquette pour gonfler artificiellement le déficit anticipé. Deux budgets seulement pour en arriver à l’équilibre budgétaire et imposer une croissance des dépenses nettement en deçà de celle des besoins. Une loi pour contrôler les effectifs dans l’ensemble des services publics. Une commission, dorénavant permanente, pour revoir l’ensemble des programmes. D’immenses projets de restructuration des réseaux, d’abord en santé, et en éducation avant longtemps. Les négociations actuelles des 540 000 salarié-es du secteur public doivent être remises dans leur contexte : celui d’une recette d’austérité libérale appliquée avec vigueur.
Après la gifle des offres du Conseil du trésor, qui réservaient aux employé-es de l’État un gel salarial de deux ans et des reculs importants à leur régime de retraite, l’insulte allait surgir des dépôts présentés par les comités patronaux de négociation (CPN) aux tables sectorielles des secteurs de la santé et des services sociaux, de l’éducation, de l’enseignement supérieur et des organismes gouvernementaux.
Flexibilité des horaires de travail, disponibilité et mobilité de la main-d’œuvre, optimisation de la gestion des ressources : des concepts qui vont plus loin que l’ensemble des dépôts sectoriels et qui remettent en question des pans entiers des conventions collectives du secteur public. Le gouvernement souhaiterait, entre autres choses, imposer des horaires hebdomadaires sur plus de cinq jours, forcer l’obligation d’accepter un emploi à plus de 50 km du lieu de travail initial, calculer les heures supplémentaires sur la base d’une période de paie plutôt que quotidienne et, pourquoi pas, restreindre les droits syndicaux.
Pour Francine Lévesque, vice-présidente de la CSN et responsable des négociations du secteur public, la volonté du gouvernement libéral de revoir l’ensemble des structures des réseaux publics explique en partie la nature même des demandes des comités patronaux de négociation.
« Pour faciliter la mise en place de ses mégastructures dans le réseau de la santé — et celles annoncées pour le secteur de l’éducation — le gouvernement cherche à charcuter de nombreuses balises de nos conventions collectives. Pour les libéraux, les employeurs devraient pouvoir nous faire travailler quand ils veulent, où ils veulent et comme ils veulent, sans égard à l’expertise et aux façons de faire développées par les intervenants, sans égard à leurs responsabilités familiales. Comme si nous n’étions que des pions interchangeables d’une immense chaîne de montage de prestation de services. Ce sont des dizaines d’années de gains, notamment en matière de conciliation famille-travail, que le gouvernement veut aujourd’hui anéantir. Tout cela au gré des ministres du jour et de leurs sempiternels désirs de chambarder nos réseaux chaque dix ans. »
Réduire la taille de l’État
Professeur au Département de relations industrielles de l’Université Laval, Jean-Noël Grenier suit de près le bras de fer entre le gouvernement et les salarié-es du secteur public. « Nous sommes devant un gouvernement très idéologique, très loin des réalités des milieux de travail. Quand on met en relation les négociations actuelles avec les travaux de la Commission Godbout sur la fiscalité et de la Commission Robillard sur la révision des programmes, on constate que le gouvernement veut un État plus petit, plus “moderne”, avec moins de services à la population. C’est dans ce contexte que se déroule la négo, dans un contexte de compressions budgétaires et de réorganisation du travail et de la prestation des services. »
Pour Jean-Noël Grenier, l’idéologie préconisée par les libéraux prend racine dans la vision anglo-saxonne des services publics, telle que développée par l’Angleterre de Margaret Thatcher. « Les libéraux veulent un modèle de flexibilité de la main-d’œuvre qui transfère les risques économiques sur les salarié-es. On tente d’avoir plus de personnes sur appel ou à temps partiel, sans heures garanties. On veut de plus en plus de sous-traitance et de recours à des agences de placement, une position où le gouvernement a beaucoup moins de responsabilités.
« Le problème, c’est qu’on développe un modèle “noyau-périphérie”. Un noyau stable pour quelques personnes et une périphérie où les salarié-es, fortement précaires, livrent des services dans des conditions de travail nettement inférieures. »
Francine Lévesque confirme cette tendance : « De plus en plus, on constate dans le réseau de la santé que les employeurs veulent se limiter à gérer les soins. Tout ce qu’ils considèrent comme étant accessoire, tels les services alimentaires ou les buanderies, serait envoyé à la sous-traitance, avec les résultats qu’on connaît : augmentation des coûts pour l’État, dégradation des conditions de travail pour les salarié-es. »
Voilà pourquoi le Front commun a déposé, tant à la table centrale qu’aux tables sectorielles de négociation, un ensemble de demandes visant à améliorer l’organisation du travail et qui entraîneraient des économies d’échelle pour l’État. Parmi celles-ci, une demande visant à réduire le recours au secteur privé, que ce soit par le truchement de la sous-traitance ou des agences de placement.
« Nous avons fait la démonstration au Conseil du trésor que le gouvernement pourrait économiser des millions en rapatriant au secteur public un ensemble d’opérations de plus en plus confiées au secteur privé. Jusqu’à maintenant, nous n’avons reçu aucune réponse, aucune, de la part du gouvernement. Ce qui confirme pour nous le biais idéologique de ces négociations : en ignorant de telles économies, le gouvernement démontre que ce n’est pas tant le retour à l’équilibre budgétaire qu’il recherche, mais d’abord et avant tout une diminution de la taille de l’État et de l’offre de services publics. »
Les demandes du Front commun visant à protéger l’autonomie professionnelle des salarié-es des services publics sont tout autant restées lettre morte, souligne Francine Lévesque. Alors qu’au cours des dernières années la proportion du nombre de cadres a crû beaucoup plus rapidement que celle du nombre de salarié-es, les travailleuses et les travailleurs du secteur public sont de plus en plus nombreux à dénoncer les pertes de temps entraînées par la multiplication des mesures administratives d’encadrement.
Ce modèle d’organisation du travail, où l’on multiplie les mesures de surveillance, de minutage et les tâches administratives de compilation statistique, représente un réel appauvrissement du travail, selon Jean-Noël Grenier. « C’est un enjeu pour la qualité des emplois et pour la qualité des services publics. Si on vide le travail de son sens, on va avoir des difficultés à livrer des services publics de qualité. Personne ne trouve de motivation dans une job plate. Quand les conditions de réalisation de son travail et le niveau d’engagement et d’identification envers celui-ci ne sont pas au rendez-vous, un employeur fait inévitablement face à des problèmes de prestation de travail. Malheureusement, ça semble être la dernière préoccupation du gouvernement actuel. »
LE SECTEUR PUBLIC EN CHIFFRES
400 000 Le Front commun rassemble 400 000 des 540 000 salarié-es de l’État québécois
75 % Des emplois du secteur public sont occupés par des femmes
35 % Des employé-es de l’État sont précaires, sur appel et sans aucune sécurité d’emploi
48 % Seulement 48 % des salarié-es du secteur public occupent un emploi régulier à temps complet
0 % Le gouvernement libéral impose un gel salarial de deux ans à ses employé-es
40 % Les demandes du gouvernement pourraient entraîner une diminution des rentes des retraité-es allant jusqu’à 40 %