«J’ai subi des tentatives de morsures, on a cherché à me frapper, on m’a craché dessus, lancé des liquides biologiques. Les menaces, je ne les compte même plus. Ça fait maintenant partie de notre travail, mais cette violence est vraiment pire qu’avant. » Le témoignage de Xavier Therrien Telasco, agent correctionnel (ASC) depuis 11 ans à l’établissement de détention de Saint-Jérôme, en dit long sur le climat à l’intérieur des murs. Il évoque une situation explosive, en raison de la hausse des problèmes de santé mentale et de la surconsommation des drogues dures. « Ces substances-là qui arrivent par drones amènent des cas plus fréquents de psychoses qui augmentent la violence dans les établissements », souligne-t-il. La prolifération des armes artisanales en circulation rend aussi le travail des agents très périlleux.
Entre 2018 et 2023, on a recensé 270 agressions à l’endroit des agentes et agents, nous dit Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec–CSN. « Il y a un alourdissement de la population carcérale. On est rendu avec une majorité de gangs de rue et de gens du crime organisé, ce qui entraîne plus de confrontations physiques, d’intimidation et de menaces envers le personnel. Juste en décembre dernier, des agressions physiques majeures ont entraîné des séquelles importantes sur des agents de Sorel, de Québec et de Bordeaux. »
Les agressions sont en hausse, parce que les détenus violents ne sont pas assez sanctionnés, nous dit Xavier Therrien Telasco. « Trop souvent, quand un individu violent menace un agent ou tente de l’agresser, l’agent est retiré du secteur alors que c’est le détenu qui devrait être transféré dans un autre centre de détention. On est doublement pénalisé par la violence des détenus. »
Un point de vue que partage son collègue Martin Jacques, agent à l’établissement de détention de Sorel-Tracy : « On avait le phénomène des « enfants-rois », on a maintenant celui des « bandits-rois ». Ils font des crises, brisent du matériel, menacent et agressent et il ne faudrait pas trop les punir pour leurs actes. On leur apprend à bafouer les règles parce qu’il n’y a pas vraiment de conséquences pour eux. »
Pour Mathieu Lavoie, il est urgent de modifier l’approche face aux comportements violents des détenus. « Avec la population actuelle, il faut un changement de mentalité, il faut porter des accusations criminelles et sanctionner ceux qui commettent des gestes illégaux. »
« Les secteurs sont pleins. Faute de personnel, les agents sont obligés de faire des heures supplémentaires, ce qui entraîne des congés de maladie et des démissions. »
Autre problème très sérieux selon lui, la surpopulation des prisons. « Plusieurs établissements sont à 110-120 % de leur capacité d’occupation. Les secteurs sont pleins. Faute de personnel, les agents sont obligés de faire des heures supplémentaires, ce qui entraîne des congés de maladie et des démissions. Bon an mal an, entre 400 et 500 postes ne sont pas pourvus ou occupés. »
On embauche de nouveaux agents, mais on peine à les retenir en raison de la violence et de la surcharge de travail, nous dit Xavier Therrien Telasco. « La violence, on baigne là-dedans tous les jours et ça provoque un niveau de détresse psychologique très élevé. Aujourd’hui, des agents de 10-15 ans d’expérience quittent leur emploi, ce qu’on ne voyait pas avant. »
La prolifération des drones qui livrent directement des téléphones, de la drogue ou des couteaux aux fenêtres des cellules complique beaucoup le travail des agents et empoisonne le climat carcéral.
Des solutions existent pour limiter l’usage des drones, mais le problème est complexe et le ministère de la Sécurité publique tarde à les appliquer. Entretemps, le climat se détériore et la sécurité des agentes et des agents est de plus en plus compromise.
Les artisans des médias ciblés plus que jamais
Chaque jour, depuis l’arrivée des médias sociaux, les artisans de l’information sont victimes de harceleurs.
Une étude menée par des chercheuses et chercheurs de l’UQAM auprès de 264 journalistes, chroniqueuses, chroniqueurs, animatrices et animateurs dans les médias québécois révèle que 58 % des répondantes et répondants ont été victimes de cyberharcèlement. L’étude réalisée à la demande de la Fédération nationale des communications et de la culture–CSN et publiée en 2022 témoigne d’une situation alarmante, souligne la présidente de cette fédération, Annick Charette. « Les réseaux sociaux sont devenus un égout à ciel ouvert. Il y a eu, je dirais, une décomplexion des gens et ils réagissent en s’en prenant aux journalistes. Les hommes sont attaqués sur leurs valeurs, leur intelligence, leur capacité à rapporter les faits. Pour les femmes, on ajoute à cela des commentaires sexistes et disgracieux sur leur apparence, des commentaires sexuels et tout. »
Les artisans des médias sont devenus une cible privilégiée pour les harceleurs, des hommes à 80 %. En fait, les employé-es des médias sont 10 fois plus victimes de cyberharcèlement que la population en général, ce qui est très inquiétant, selon Annick Charette. « C’est devenu plus difficile pour plusieurs journalistes, sans compter les équipes de tournage et les photographes qui vont sur le terrain et qui se font bousculer et agresser. On ne parle plus seulement de cyberharcèlement. On est obligés, dans certains cas, d’enlever les identifiants sur les véhicules et les caméras.
Cette hausse du harcèlement sous toutes ses formes a des conséquences réelles, comme l’illustrent ces témoignages de journalistes recueillis par les chercheuses et chercheurs de l’UQAM. « J’ai supprimé ma photo sur Facebook et j’écris très rarement sur les réseaux sociaux en ma qualité de journaliste. Ces épisodes de harcèlement ont modifié ma façon de faire sur les réseaux sociaux. »
« Un homme m’a écrit plusieurs fois sur Twitter pour me reprocher de ne pas lui faire de place en ondes […]. Comme je ne lui répondais pas, il a commencé à me traiter de pute. Après plusieurs messages, il m’a dit qu’il viendrait en studio pour me violer. »
Personne n’est préparé à subir pareille violence. Soixante-dix pour cent des répondantes et répondants de l’étude avouent avoir vécu du stress, des problèmes de concentration, de l’anxiété ou de la détresse. Pour éviter le cyberharcèlement, ces personnes sont de plus en plus nombreuses à pratiquer l’autocensure, nous dit Annick Charette. « Des journalistes préfèrent ne pas couvrir certains sujets pour se soustraire à ces avalanches de commentaires agressifs ou grossiers. Pour nous, c’est un gros problème parce qu’on parle ici d’un muselage volontaire, ce qui est mauvais pour la qualité de l’information.
Plusieurs employeurs prennent très au sérieux la montée du cyberharcèlement. Auparavant, les médias demandaient à leurs journalistes de répondre sur les médias sociaux, mais ce n’est plus maintenant une obligation liée à l’emploi. Et si les employeurs ont l’obligation légale de protéger leurs employé-es, il reste encore beaucoup de travail à accomplir pour contrer le cyberharcèlement.
Violence à l’école, des témoignages qui ébranlent
« En 2019, j’ai été frappée par un élève autiste de 25 ans et j’ai été un an et demi en arrêt de travail et en thérapie. J’ai reçu des coups de poing sur la tempe gauche. Depuis, j’ai des séquelles, des maux de tête, je prends des Tylenol en quantité et mon œil n’est pas rétabli. » Le témoignage de Nicole, technicienne en éducation spécialisée (TES), n’est pas unique. Nombre de ses collègues vivent chaque jour des épisodes de violence, particulièrement dans les écoles primaires.
Annie Charland, la présidente du secteur du soutien scolaire à la Fédération des employées et employés de services publics–CSN, a longtemps œuvré comme TES au primaire. « Le côté violence, je peux vous en parler longtemps. Je dis toujours, une chance que je porte des verres, parce qu’il me manquerait un œil aujourd’hui. Il y a un jeune qui m’a lancé un crayon dans les lunettes ».
Annie constate que la situation s’est vraiment détériorée dans nos écoles. L’an dernier, un de ses syndicats locaux a recensé 1 275 dossiers de violence : coups de pied, coups de poing, égratignures, crachats, objets lancés ou autres projectiles comme des chaises, sans compter les agressions verbales. « Souvent, on est obligés de sortir les élèves de la classe pour les calmer, mais on doit aussi sortir tous les autres pour les protéger. Moi, j’ai vu des classes presque totalement détruites. »
Mais comment explique-t-elle cette montée de la violence ? D’abord, par la hausse du nombre d’enfants avec des troubles du comportement. Les enfants sont aussi beaucoup plus stressés qu’auparavant. « Ce qu’on voit beaucoup, ce sont des problèmes d’anxiété de performance ; des enfants qui n’ont pas eu de bonnes notes viennent “ tout croche ’’. Ce n’est pas drôle de constater l’anxiété des enfants au primaire ou de les voir faire une dépression. Ils ont besoin d’aide, mais tout va trop vite et nous on manque de temps pour les aider comme il faut. »
Manque de temps et d’effectifs pour soutenir les enfants, mais surtout, manque de personnel pour faire de la prévention. Présentement, faute d’heures de travail, les intervenantes doivent jouer à la pompière, gérer les crises. « Depuis la pandémie, on constate que les enfants ont plus besoin d’aide pour travailler leurs émotions et pour diminuer leur anxiété. C’est ça, le gros problème dans nos écoles en ce moment. » Dans ce contexte, les TES sont plus que jamais essentielles et ce qui les motive, nous dit Nicole, « c’est l’amour de ces enfants-là souvent négligés par leurs parents. Ce sont des enfants qu’on ne peut pas abandonner. C’est un peu comme une vocation. »