Élévation globale du niveau des mers, vagues de chaleur, blanchissement des coraux, réfugiés climatiques, fonte des calottes polaires, gaz à effet de serre, exploitation des hydrocarbures, énergies renouvelables, la société devient de plus en plus sensibilisée aux enjeux liés aux changements climatiques, mais qu’en est-il des solutions ? Qu’adviendra-t-il des travailleurs et travailleuses dans un monde en mutation ? Devrons-nous faire un choix entre l’environnement et l’économie ? La transition écologique peut-elle être « juste » et équitable pour tout le monde ?
L’idée d’une « transition juste » pour les travailleuses et les travailleurs circule depuis près de vingt ans, principalement dans le cadre des négociations climatiques des Nations unies (COP). Mais ce n’est que récemment qu’elle s’est mise à susciter la curiosité des acteurs politiques responsables du développement durable. Pourtant, malgré le récent intérêt porté au principe de transition juste, il ne bénéficie pas de la même popularité à la COP et chez les environnementalistes que dans le public ou chez les travailleuses et travailleurs visés par les mesures qui y sont rattachées.
Regard vers la transition
La transition juste est un cadre d’action développé par le mouvement syndical qui propose l’adoption de mesures visant à sécuriser la qualité de vie des travailleuses et des travailleurs lors du passage vers une économie sobre en carbone. Sachant que plusieurs secteurs d’activité risquent d’être fortement ébranlés par les bouleversements provoqués par les changements climatiques au cours des prochaines décennies, le mouvement syndical revendique une place pour les travailleurs à la table, lorsqu’il sera question de la planification de la restructuration des modes de production et de l’organisation du travail.
Parmi les mesures proposées, on trouve des investissements substantiels dans des technologies et des secteurs peu polluants et générateurs d’emplois, la diversification des économies locales, la bonification des mesures de protection sociale, et la création d’outils de formation et de développement de la main-d’œuvre afin de soutenir le déploiement de nouvelles technologies et d’encadrer les mutations industrielles.
Toujours peu connu
En 1998, le syndicaliste canadien Brian Kohler fut parmi les premiers à faire mention de la transition juste : « On n’a pas de choix à faire entre l’économie et l’environnement. C’est soit les deux, soit ni l’un ni l’autre. »
Bien que le concept de transition juste se soit répandu progressivement à travers la couche militante du mouvement syndical québécois au cours des deux dernières décennies, il ne s’est toujours pas enraciné dans les milieux de travail des secteurs d’activité affectés. C’est la raison pour laquelle le comité exécutif de la CSN a proposé la lutte contre les changements climatiques comme enjeu à débattre au cours de la consultation précongrès.
Pour Pierre Patry, trésorier de la CSN et responsable politique des questions environnementales et du développement durable, la méconnaissance de la notion de transition juste s’explique en partie par l’absence de politiques concrètes ayant des objectifs chiffrés quant aux gains d’emplois et aux balises entourant la formation des travailleurs touchés par ces changements. « Maintenant que la transition juste se trouve enchâssée dans le préambule de l’Accord de Paris, le temps est venu de revendiquer un plan d’action crédible ancré dans ces principes, qui vise l’élimination de notre dépendance aux hydrocarbures », explique le trésorier de la CSN.
Le rôle de l’État
Récemment, Pierre Patry a eu l’occasion de présenter la vision que défend la CSN lors d’une conférence intitulée « Les travailleuses et travailleurs : des acteurs incontournables pour réussir la transition énergétique », qui s’est tenue à la Maison du développement durable à Montréal. « La transition n’est pas une chose pour laquelle on peut être pour ou contre, en faveur ou en défaveur, car elle se passe, qu’on le veuille ou non. Il faut donc se préparer pour ces changements et les anticiper afin d’en tirer des bénéfices, plutôt que de simplement en subir les conséquences. Nous avons la capacité en tant qu’êtres humains d’envisager l’avenir et de s’y préparer. Profitons-en ! »
Le trésorier de la CSN dénonce également le fait que le gouvernement de Philippe Couillard parle des deux côtés de la bouche lorsqu’il est question de développement durable. « Le gouvernement se dit écologique tout en s’engageant activement dans le démantèlement de l’État, notamment en déstructurant les organisations régionales de concertation et en matière de création d’emplois. Les centres locaux de développement (CLD) et les corporations de développement économique communautaire (CDEC) étaient porteurs d’une vision de création d’emplois et de développement durable. Leur disparition représente une occasion ratée de se doter d’un développement local et régional respectueux de l’environnement ! Quel sera le rôle des villes et des municipalités dans la transition ? Comment cet enjeu sera-t-il pris en compte ? Impossible de le dire pour l’instant, mais l’absence de joueurs de différents milieux dans la réflexion — incluant le milieu syndical, est une perte importante. »
Le travailleur oublié
Pierre Patry remarque aussi que la parole des travailleuses et des travailleurs est souvent négligée lors des débats sur les enjeux écologiques. « La conversation porte souvent sur l’option qui crée le plus d’emplois, et bien que ces facteurs soient intéressants et importants pour la société, nous oublions souvent le rôle du travailleur dans toute cette grande mêlée. Comment se sent-il face à cette transition ? Comment allons-nous l’accompagner et répondre à ses préoccupations ? »
Ces questions sont justement au centre des activités d’Iron & Earth, une organisation composée de travailleurs et travailleuses qui œuvrent ou ont œuvré dans les sables bitumineux, qui souhaite faire de la place aux énergies renouvelables dans l’économie fragile de l’Alberta. Elle offre entre autres de la formation aux travailleurs du secteur pétrolier qui sont sans emploi ou sous-employés pour qu’ils puissent se trouver du travail dans le secteur solaire ou en construction durable.
« Oui, les sables bitumineux ont créé beaucoup d’emplois en Alberta, mais ce ne sont pas les travailleurs qui ont bénéficié des profits avant la crise économique actuelle. Et maintenant, plusieurs d’entre eux sont sans abri ou ont dû vendre leur voiture, ce qui nuit grandement à leur capacité de se trouver un nouvel emploi. Ce que nous vivons présentement à Calgary est de loin la pire chose qui est arrivée à notre ville depuis une génération, déplore Kerry Oxford, soudeuse et membre du Conseil d’administration d’Iron & Earth. Je n’étais pas sur le marché du travail lors du dernier ralentissement économique, les personnes de mon âge ou plus jeunes n’ont donc jamais vécu une situation semblable. La violence conjugale a augmenté de 10 % au cours des dernières années et le taux de suicide est en hausse ; des milliers d’entreprises ferment leurs portes. L’heure est grave. Il est très important que notre gouvernement soutienne les initiatives qui visent à former les travailleurs pour qu’ils puissent travailler dans un nouveau secteur énergétique. C’est la raison pour laquelle Iron & Earth souhaite jouer le rôle de facilitateur afin que toutes les parties prenantes — travailleurs, développeurs, gouvernements — aient leur place à la table. Il faut créer des ponts avant qu’il ne soit trop tard. »