Plus que jamais, la participation à la vie syndicale préoccupe les syndicats de la CSN. Tout le monde en parle. On cherche la recette, la bonne, celle qui permettra de susciter des vocations, d’attirer les membres aux assemblées générales. En un mot, de responsabiliser les travailleurs et les travailleuses.
Les questions de vie syndicale et de démocratie syndicale étaient sur toutes les lèvres au cours du 65e Congrès de la CSN. La perte récente de plus de 22 000 membres suscite des inquiétudes dans les syndicats, qui veulent à tout prix renouveler la démocratie syndicale. « La CSN a vécu la désaffection de plus de 22 000 de ses membres, mais il faut se dire que ça aurait pu être pire. On est effrayés quand on voit un chiffre pareil, mais ça aurait pu être pire, et là, c’est la raison même de la CSN qui aurait pu être fragilisée. Et ça, c’est quelque chose qui peut se produire très rapidement », note Christian Nadeau, professeur de philosophie de l’Université de Montréal, conférencier au 65e Congrès de la CSN et auteur du livre Agir ensemble, penser la démocratie syndicale. Pour lui, le constat est brutal, mais aucun syndicat n’est à l’abri d’une pareille menace : « Sans vouloir être prophète de malheur, je pense que ce qui s’est passé dans le secteur de la santé et des services sociaux pourrait très bien se reproduire ailleurs, par exemple en éducation. Le gouvernement québécois sait très bien ce qu’il fait depuis 2010-2011. Il avance lentement, pas à pas, lentement mais sûrement, et on sous-estime le côté planifié de ses actions. Les choses se sont faites progressivement, mais avec une grande violence à tous les niveaux. »
Et il n’y a pas que les services publics qui sont menacés, croit Michel Paré, président du Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôtel Bonaventure Montréal : « C’est un choc de perdre autant de membres, c’est la force de notre mouvement qui en est affectée et on sait que ça peut arriver dans nos secteurs aussi. Si on nous forçait à tenir des votes d’allégeance dans tous nos syndicats demain matin, j’ai l’impression qu’on aurait des surprises dans plusieurs d’entre eux. »
Un virage qui s’impose
Le mouvement syndical devra donc, plus que jamais, s’interroger et prendre le virage qui s’impose, selon le professeur Nadeau. « Il n’y a pas de recette parfaite, mais plusieurs manières de faire. Les gens ne viennent plus aux assemblées générales, parce qu’ils ne veulent plus subir la procédure, ils ne se sentent pas concernés et plusieurs croient que tout est déjà décidé à l’avance, qu’ils ne servent qu’à justifier le quorum. Il faut leur offrir des lieux de discussion informels, où ils pourront s’exprimer librement et mieux se préparer aux assemblées générales. »
Au Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep Montmorency, on croit aux vertus des lieux de discussion informels. On a mis en place des kiosques, des dîners-causeries, des comités, nous dit sa présidente, Karine L’Écuyer : « On essaie de multiplier les lieux. Nous, on a une vie syndicale très forte, je dirais qu’on a une belle assemblée générale et beaucoup de membres participent aux comités syndicaux. Les gens veulent avoir une prise sur ce qui se passe. Faire en sorte que leurs idées soient entendues, mais il y a une réflexion à avoir dans l’ensemble de la structure. »
Pour Kevin Gagnon, président du Syndicat des travailleurs et travailleuses de Bridgestone à Joliette, la situation est plus difficile. « Nous avons un syndicat de 1100 membres et j’ai les mêmes problèmes parfois que les petits syndicats pour obtenir le quorum. La vie syndicale, c’est important, ce n’est jamais gagné, il faut recommencer tout le temps. Nous, on a différents horaires de travail, ça rend difficile l’organisation de dîners-causeries, mais on pourrait songer à faire des regroupements en dehors des heures de travail pour participer ensemble plus activement à la vie syndicale. Ce que je comprends des différentes propositions faites au congrès, c’est qu’on va donner de l’appui aux différents syndicats, aux conseils centraux et aux fédérations pour nous aider à donner les meilleurs services à nos membres. »
Au Chantier naval de Lauzon, la vie syndicale était, il n’y a pas si longtemps, un très grand sujet de préoccupation. Et c’est justement ce qui a incité Raphaël Jobin, un travailleur sans expérience syndicale, à se présenter à la présidence du Syndicat des travailleurs du Chantier naval de Lauzon. « Nous avons présenté une équipe pour que les jeunes prennent leur place. Le comité exécutif et le conseil syndical au complet ont été remplacés d’un coup. On a mis l’accent sur l’information aux membres. On a consulté nos membres, plus qu’ils ne le voulaient parfois. On a fait des assemblées consultatives et les gens ont bien répondu. »
Un syndicat, plus qu’une police d’assurance
Pour Christian Nadeau, le problème, c’est que les syndiqué-es ont parfois tendance à oublier l’importance d’une vie syndicale active et d’une véritable démocratie syndicale. « Les membres finissent par ne plus percevoir le syndicalisme comme quelque chose dont ils font partie, mais plutôt comme quelque chose dont ils sont membres, au sens où on est membre d’un club de golf ou d’un gym, d’un endroit où on va chercher des services. Mais beaucoup de gens ont oublié que les droits dont ils jouissent, ici et maintenant, sont des droits acquis. Ils finissent par croire que c’est normal. Ils oublient que ces droits sont tout récents, qu’ils n’ont même pas une génération. »
Le Québec a un taux de syndicalisation beaucoup plus élevé qu’en Europe ou qu’aux États-Unis, ce qui est à la fois une force et une faiblesse, selon Christian Nadeau, dans la mesure où cela provoque un certain confort, qui incite le milieu syndical à se voir comme un gestionnaire de conventions collectives. Le danger, selon lui, c’est que le syndicat « fasse une partie du travail du patronat. Le patron est très content d’avoir des gens qui gèrent la convention collective, parce qu’en même temps, ils gèrent les relations de travail. Lui n’a plus besoin de s’en occuper, puisque c’est le syndicat qui le fait à sa place. S’il y a des problèmes sur les lieux de travail, c’est le syndicat qui va prendre le blâme, et non le patron. Des employeurs pourraient en arriver à se dire, pourquoi on n’aurait pas une compagnie d’assurance qui gérerait une relation contractuelle avec l’employeur ? Une compagnie qui s’occuperait uniquement de la relation contractuelle avec les employeurs ». Autre observation du professeur Nadeau, la judiciarisation des relations de travail coûte très cher et ne se fait pas toujours dans l’intérêt des membres.
Il met en garde le mouvement syndical contre les dangers du repli sur soi et de la défense des intérêts corporatistes de ses membres. « Si le milieu syndical réagit de manière corporatiste à des demandes corporatistes, le syndicat finira par être perçu comme une simple “police d’assurance”, dont on peut se débarrasser à sa guise. »
Face aux nombreuses agressions subies par le milieu syndical, Christian Nadeau prône la combativité. « Il est important d’affirmer ses positions politiques, d’intégrer les luttes sociales à notre action syndicale et de ne pas être aveugle à la misère des gens. »