Maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence

Derrière la porte, des intervenantes dévouées

Les sorties de la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, ont ramené à l’avant-plan le grave manque de places en maisons d’hébergement. Le Point syndical s’est entretenu avec Rachel Lafleur, intervenante à la maison d’hébergement L’Ombre-Elle.

Par François L’Écuyer

Si la pandémie a révélé une hausse inégalée des féminicides, la hausse des actes de violence envers les femmes était pourtant déjà bien claire : depuis 2005, une augmentation de 31 % a été constatée au Québec.

Pour les femmes victimes de violence, les risques sont actuellement grandement amplifiés, nous disent celles qui leur viennent en aide. L’inflation frappe fort et amplifie la dépendance économique de nombreuses femmes. Trouver un logement pour se sauver de l’enfer et y mettre les enfants en sécurité relève souvent de l’impossible. Dans certaines régions, le néant locatif vous attend de pied ferme.

« Chaque fois qu’une crise sociale survient, les femmes sont toujours plus impactées », glisse Rachel Lafleur, intervenante dans une maison d’hébergement de L’Ombre-Elle, à Sainte-Agathe-des-Monts.

« En ce moment, on sent que les femmes sont plus réticentes à quitter leur milieu violent parce que les défis économiques sont beaucoup plus grands. Elles doivent se trouver un logement, déménager… Alors oui, des femmes doivent rester dans leur milieu violent. Elles se disent qu’elles vont attendre d’avoir plus d’argent pour tenter de s’en sortir », déplore celle qui préside également son syndicat CSN.

Elle rappelle à quel point les aspects de contrôle et de coercition sont au cœur des problèmes de violence conjugale. À quel point les chiffres confirment la dépendance financière de nombreuses femmes !

« Un conjoint peut t’empêcher de travailler, de faire de l’argent. Il peut t’empêcher d’aller à l’école, de chercher de l’aide financière. Certains vont même te voler ou contracter des dettes en ton nom… », énumère-t-elle.

« C’est une emprise psychologique totale. Après un certain temps, la personne n’a même plus besoin d’exercer de la violence. C’est la peur qui s’installe », décrit Rachel.

« Alors quand, en plus, t’es prise à la gorge financièrement… »

Lente reconstruction

À L’Ombre-Elle, environ 25 intervenantes se relaient jour et nuit pour accompagner le long processus de reconstruction pour les femmes et leurs enfants. Un véritable milieu de vie où de nombreuses familles brisées se côtoient. À une certaine période l’an dernier, jusqu’à quinze enfants s’y fréquentaient.

« Les impacts sur les enfants sont nombreux. Certains vont eux-mêmes développer des comportements violents, ce qui nous oblige à intervenir tôt. D’autres vont vivre de l’anxiété, vont chercher à s’isoler. Les plus jeunes peuvent vivre des violences nocturnes ou même régresser dans leur développement. »

Dans son travail auprès des femmes victimes de violence, Rachel nous explique à quel point il est important pour elle d’aborder différents enjeux reliés à la socialisation. À quel point elle travaille sur la notion de contrôle, sur la nécessité de savoir mettre ses limites : « J’accompagne les femmes du début jusqu’à la fin de leur séjour. Tellement de choses sont à déconstruire… », soupire-t-elle.

« On voit dans quel état sont les femmes au début, et où elles en sont à la fin de leur séjour. C’est un virage à 180 degrés. »

Pénurie de places

Bien sûr, le manque de place constitue une source de frustration constante pour les intervenantes. Tous les efforts sont néanmoins déployés pour faire en sorte qu’aucune personne ne soit laissée à elle-même.

Car L’Ombre-Elle ne sert pas que de refuge en cas d’urgence. Rachel et ses collègues sont également responsables d’une ligne téléphonique d’urgence pour la région, ainsi que d’une gamme de services externes pour prévenir la violence conjugale ou identifier les signes précurseurs.

Mais quand les risques à l’endroit d’une femme et ses enfants deviennent trop grands, L’Ombre-Elle leur sert de lieu protecteur. « En ce moment, on reçoit beaucoup de femmes provenant de Montréal, parce que les refuges sont pleins là-bas. Ce n’est pas évident pour une femme de se réinstaller si loin de son travail ou de l’école de ses enfants. Malheureusement, devant la distance, certaines femmes ne veulent pas faire le trajet jusqu’à notre maison… »

Sous la pression des organismes leur venant en aide, le gouvernement acceptait en 2022 de financer la construction de nouvelles maisons d’hébergement en utilisant les budgets du ministère du Logement. En mars dernier, constatant que les coûts de la construction de ces maisons dépassaient ceux des projets de construction en logement social, la ministre France-Élaine Duranceau interrompait toutefois plusieurs chantiers, exigeant des modifications.

L’absurdité de la comparaison ne fait pas rire Rachel.

« C’est une vision très immobilière de cet enjeu, s’insurge-t-elle. Une maison d’hébergement, ce n’est pas du logement social. C’est un milieu de vie qui sert d’accueil à des femmes brisées. Pour travailler à leur réintégration, ça prend des espaces de travail, ça prend des bureaux pour nos rencontres, ça prend des espaces de vie pour les ados… »

« Ça paraît que la ministre n’est pas familière avec le milieu communautaire. Ça illustre tout à fait l’approche top-down du gouvernement de la CAQ. »

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