Longtemps négligée, la crise immobilière s’est finalement invitée dans le débat politique. Il était temps : en septembre 2023, le loyer moyen au Canada a dépassé pour la première fois la barre symbolique des 2000 dollars.
Le 1er juillet, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) a dénombré 490 ménages au Québec sans nouveau bail. Pour Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU, ces chiffres ne sont que la partie émergée d’un archipel de la misère, sans « tous ceux et celles hébergés chez des proches, obligés de camper dans leur voiture ou dans un motel, en maison de transition, ni tous ceux et celles ne s’étant pas manifestés auprès d’un service d’aide ou en situation d’itinérance ». Et sans les millions de travailleurs pauvres, de jeunes, d’immigrants, d’aînés, de minorités, et/ou de familles monoparentales qui louent un logement trop cher, trop petit ou insalubre. Ailleurs au Canada, la situation est encore pire, et la crise immobilière se conjugue avec deux autres crises : celle des opioïdes et de la santé mentale.
Le phénomène n’est plus seulement à Montréal ou quelques grandes villes, il percole partout au Québec. Il est même devenu un frein au développement économique des régions puisqu’on peine à loger les travailleuses et les travailleurs nécessaires à certains nouveaux projets comme ceux de la filière batterie.
Tous coupables ou (presque) tous victimes ?
Le grand jeu du blâme politicien, de l’inversion accusatoire et des explications pseudo-économiques a fonctionné tout l’été. Toutes les contrevérités ont été dites sur cette crise : elle serait la faute des jeunes incapables de tenir un budget. La faute des travailleurs mal payés et donc… de leurs syndicats. La faute des cessions de bail qui pénaliseraient les propriétaires. La faute des immigrants, alors que leur arrivée prévisible n’a été accompagnée d’aucun plan national de création de logements. Et même la faute de l’augmentation des salaires des travailleurs et travailleuses de la construction ! « Nos membres subissent aussi de plein fouet cette crise et l’inflation », réagit cependant Pierre Brassard, président de la CSN–Construction.
Dernières coupables en date : la Banque du Canada (BDC) et l’envolée rapide des taux d’intérêt. Cet été, la CSN a déposé un mémoire pour les consultations prébudgétaires fédérales, dans lequel elle critique l’utilisation de la BDC comme seul outil pour juguler l’inflation. La centrale estime qu’agir ainsi accentue les inégalités sociales. D’autres politiques significatives sont nécessaires pour s’attaquer à l’inflation, y compris des moyens concrets de rendre le logement plus abordable.
Des solutions existent
Pour sortir de la « crise de l’offre », le FRAPRU estime la création de 50 000 logements sociaux à but non lucratif indispensable au Québec. Il s’agit là d’un minimum puisque la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) estime qu’il faudrait 620 000 nouveaux logements au Québec pour rétablir un équilibre dans le marché ! Une très grande corvée nationale est donc nécessaire.
Hélas, le secteur de la construction manque de bras, malgré une productivité record. « Nous alertons depuis longtemps sur le manque de main-d’œuvre. Une des causes sont de piètres conditions de sécurité dans l’industrie, car le secteur est le plus meurtrier au pays et montre de graves carences en matière de formation et de conditions de travail, pour attirer et garder ces professionnel-les », explique Pierre Brassard. Commentant la récente promesse par le premier ministre d’une formation accélérée payée et calquée sur celle des préposé-es aux bénéficiaires pendant la COVID, il ajoute : « la formation peut être attrayante, mais ce n’est pas en coupant dans les heures obligatoires pour obtenir un DEP qu’on formera les professionnel-les qualifiés dont on a tant besoin. Et la question de la rétention de ces travailleuses et travailleurs se pose toujours ».
En attendant, l’achat d’immeubles résidentiels existants par les villes sera nécessaire pour contrer « la financiarisation du logement » qui jette, chaque jour, des citoyennes et citoyens à la rue. Mais la volonté politique manque. Ainsi, la proportion de logements sociaux sur l’ensemble des logements locatifs québécois a diminué pour la première fois de l’histoire de la Belle Province, en passant de 11,2 % en 2016, à environ 10,1 % en 2021. Le FRAPRU estime que ce chiffre doit doubler et atteindre 20 % pour peser sur le marché locatif privé et permettre à tous de se loger dignement.