Lundi, 15 h
La fille de Geneviève n’a pas dormi de la nuit et a une toux inquiétante depuis plusieurs jours. Quand la garderie demande à Geneviève d’aller récupérer sa fille parce qu’elle fait une forte fièvre, Geneviève interrompt son quart de travail. Sa fille a besoin de voir un professionnel de la santé rapidement, mais Geneviève ne sait pas vers quelle ressource se tourner.
16 h
Geneviève décide d’appeler Info-Santé, mais l’infirmière ne peut pas faire de diagnostic et lui conseille d’aller voir un médecin. L’attente téléphonique de trente minutes n’aura pas servi à grand-chose.
Il est parfois utile d’avoir un numéro à composer pour poser des questions de santé, mais rien ne vaut une rencontre avec un professionnel de la santé. Les centres locaux de services communautaires (CLSC) ont été conçus pour être une porte d’entrée du réseau avec un personnel stable qui connait les gens du quartier et leurs problèmes. Malheureusement, les derniers gouvernements successifs se sont acharnés à réduire leurs ressources, au profit de cliniques médicales privées.
16 h 30
Depuis que sa collègue Odile a eu un accident de travail, il manque de personnel au CHSLD où Geneviève travaille. Quand elle appelle pour informer son équipe qu’elle ne pourra pas non plus faire son quart de travail de soir, elle a l’impression de les laisser tomber, mais elle n’a pas le choix.
Il manque présentement plusieurs dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs dans le réseau de la santé et des services sociaux, mais un nombre encore plus grand est absent, notamment pour cause de maladie. C’est que le réseau est pris dans un cercle vicieux : plus les conditions de travail se dégradent, plus les gens quittent leur poste pour aller travailler au privé, ajoutant ainsi à la charge de travail de ceux et celles qui restent. Il est temps de mettre fin à ce cercle infernal et de donner des conditions de travail respectables aux gens qui se dévouent tous les jours pour notre santé.
17 h
« Tu devrais aller au privé », c’est ce que la responsable de la liste de rappel lui a conseillé quand elle a annulé son quart de travail. Geneviève n’a jamais roulé sur l’or, mais depuis sa séparation et avec l’inflation effrénée, les fins de mois sont plus serrées que jamais. Geneviève n’a pas les moyens de payer pour consulter un médecin.
Plusieurs facteurs sont liés à la santé d’une personne. Le fait de vivre des stress importants dans sa vie personnelle ou au travail, d’avoir accès à un logement salubre et d’avoir un revenu décent sont autant d’exemples de facteurs qui influencent la santé. Pour prendre vraiment soin du monde, on doit aussi agir sur les déterminants sociaux de la santé, et ce, à l’aide de différentes politiques publiques structurantes.
17 h 15
Après avoir appelé trois groupes de médecine familiale (GMF), Geneviève réalise qu’ils ferment tous à 17 h. Résignée, elle se tourne vers l’urgence de l’hôpital le plus près de chez elle.
Les GMF sont des entreprises privées subventionnées par l’État. Comparées au public, ces entreprises coûtent plus cher et ne réussissent même pas à répondre aux exigences de leurs contrats, tant en matière d’horaire qu’en nombre de consultations. Même si le citoyen ne sort pas sa carte de crédit dans un GMF ou une clinique spécialisée, le contribuable, lui, paie davantage par ses impôts.
18 h
Armée de patience, Geneviève se présente à l’urgence avec sa fille. Finalement, elles attendront dix heures avant de voir un médecin.
Tous s’accordent pour dire que la salle d’urgence n’est pas l’endroit approprié pour un cas comme celui de la fille de Geneviève. Les gouvernements, l’un après l’autre, ont effectué des méga réformes sans prendre le temps d’en évaluer les conséquences, mais aussi sans consulter ni la population, ni le personnel, ni les experts en santé.
Mardi, 4 h
Geneviève réussit finalement à obtenir une ordonnance d’antibiotiques pour sa fille, mais la nuit a été courte. Heureusement, Geneviève peut compter sur un entourage bien présent qui l’aide en gardant sa fille jusqu’à son rétablissement. Deux jours plus tard, tout est revenu à la normale pour Geneviève et sa famille.
Nous le savons toutes et tous, les dernières années ont été éprouvantes pour le réseau public de la santé et des services sociaux. Les partis politiques qui se sont succédé à la tête de l’État québécois ont multiplié les réformes dans le réseau, le centralisant et le privatisant toujours davantage, et ce, sans investir les sommes nécessaires pour en assurer le bon fonctionnement. On voit aujourd’hui le résultat : les urgences des hôpitaux débordent, les listes d’attente s’allongent, que ce soit pour obtenir un médecin de famille, du soutien à domicile, une place en hébergement, etc.
Selon le ministre de la Santé, le problème avec les réformes précédentes serait que ses prédécesseurs ont manqué de courage… Selon lui, il faut revoir à la hausse la privatisation et la centralisation, et à la baisse, la démocratie, laquelle est déjà peu présente dans les structures. Et si on se donnait les moyens d’une autre vision?
Une attaque contre les femmes
Les femmes sont touchées au premier plan par la réforme de la santé et des services sociaux.
- La santé et les services sociaux reposent, depuis toujours, sur le travail des femmes. Les travailleuses et travailleurs du réseau de la santé sont des femmes à hauteur de 80 %.
- Entre les soins liés à la naissance et les soins psychologiques (dont elles sont les usagères principales), les femmes sont, dans l’ensemble, celles qui nécessitent le plus de soins.
- Les femmes sont aussi majoritaires à jouer un rôle de proche aidante, palliant une fois de plus les manques de l’État. Comme elles n’ont pas le luxe des services offerts au privé, ce sont aussi elles qui prennent soin de leurs parents et de leurs enfants, souvent au détriment de leur carrière.
- Enfin, la réforme touche les femmes et les personnes qui accouchent jusqu’à dans leur façon d’aborder la grossesse, et se voit dénoncée tant par les sages-femmes que par les organismes communautaires d’accompagnement à l’interruption de grossesse.
Les remèdes à la crise
Pour en finir avec un réseau de la santé et des services sociaux en crise perpétuelle, le Québec a besoin d’une vision collective et progressiste.
POUR UN RÉSEAU VRAIMENT HUMAIN :
La mission du réseau de santé devrait être de prendre soin de la population, pas de s’enrichir sur son dos. Le Québec doit investir dans de bonnes conditions de travail pour les travailleuses et travailleurs de son réseau et s’assurer que les « anges gardiens » de la santé soient enfin respectés.
POUR UN RÉSEAU VRAIMENT ACCESSIBLE :
Quand on souffre, l’accès aux soins devrait être facile et accessible. Ça veut dire des services de proximité sans attente interminable, à une distance raisonnable des usagères et usagers.
POUR UN RÉSEAU VRAIMENT PRÈS DES GENS :
La réforme Dubé créera davantage de superstructures, éloignant encore plus les décisions du terrain, soit des usagères, des usagers et des employé-es du réseau. Le ministre Dubé perd de vue l’essentiel : les problèmes humains doivent avoir des solutions humaines.