Éditorial de Jacques Létourneau, président de la CSN
On apprenait cette semaine que des 15 000 places en CPE annoncées par le ministre de la Famille il y a deux ans, seulement 2300 d’entre elles ont pu être créées. Pendant ce temps, 51 000 familles sont toujours en attente d’une place pour leur enfant.
Le financement ne serait donc pas la seule raison du problème, comme c’était le cas sous le règne des libéraux. Ceux-ci avaient profité de leurs quinze années au pouvoir pour favoriser le développement des garderies privées, dont le nombre de places a été multiplié par six de 2010 à 2018 au détriment du développement et de la consolidation des services de garde en CPE ou en milieu familial.
Plusieurs voix se sont fait entendre au cours des derniers jours pour dénoncer la rigidité et la lenteur des procédures d’octroi de subventions au ministère de la Famille. Alors que la construction d’une école s’effectue généralement en 18 mois, il en prend entre 3 et 4 ans pour la construction d’un CPE, un type d’établissement dont l’ampleur et la complexité sont pourtant bien moindres. Pas moins de 17 étapes d’approbation — 17 ! — doivent être traversées.
Qu’on veuille bien faire les choses, nous en sommes. Mais quand le zèle du ministère de la Famille vient brimer la possibilité pour des milliers de parents de bénéficier de milieux de garde subventionnés, c’est toute notre société qui en souffre.
Ce sont toutefois les écarts d’accessibilité énormes entre différents milieux que je trouve, personnellement, encore plus aberrants. Comment expliquer que les résidents de Westmount aient accès, toutes proportions gardées, à deux fois plus de places en CPE que ceux de Montréal-Nord ou de Parc-Extension ?
Les projets de construction de CPE doivent être soumis au gouvernement « par la communauté ». Soit. Mais se pourrait-il qu’une « communauté » comme celle de Westmount, plus que privilégiée sur les plans social et économique, soit plus outillée pour élaborer de tels projets que celles de milieux beaucoup plus défavorisés ?
Poser la question, c’est y répondre.
Il est pourtant de la responsabilité du gouvernement de veiller au développement et à la consolidation du réseau des CPE et d’en assurer un accès équitable à l’ensemble des familles du Québec. Plutôt que de multiplier les étapes d’approbation, les gestionnaires du ministère de la Famille devraient soutenir les communautés dans le développement de leurs projets.
Malheureusement, l’idéologie du « tout-au-privé » du précédent gouvernement semble avoir eu raison du savoir-faire qui existait au ministère de la Famille. Au début des années 2000, qu’on s’en rappelle, c’est entre 8000 et 9000 places en CPE qui étaient créées chaque année.
Lors de l’annonce de la création des maternelles 4 ans, nous avions avisé le gouvernement de notre opposition à une solution mur-à-mur. Nous souhaitions qu’il privilégie la complémentarité des différents réseaux et qu’il tienne pleinement compte des besoins particuliers de l’ensemble des communautés. Entêté et enorgueilli par cette promesse électorale, il a plutôt fait fi de nos mises en garde, avec les conséquences que l’on connaît : les services de garde en milieu familial ont écopé et des milliers d’entre eux ont fermé depuis.
Développement, consolidation et complémentarité des réseaux de services de garde subventionnés, voilà les objectifs qui devraient prévaloir au ministère de la Famille. Au quotidien, les communautés ont besoin d’un appui logistique dans l’élaboration de projets répondant à leurs besoins.
Avant de penser à révolutionner le monde avec un livre blanc, le ministre Mathieu Lacombe doit faire le ménage dans son propre ministère et y ramener l’expertise et le savoir-faire qui y prévalaient lors des premières années de la mise en place du réseau des CPE. En y réduisant la bureaucratie, il permettra aux fonctionnaires qui y œuvrent de consacrer à nouveau leurs énergies à l’appui des communautés — notamment celles qui sont plus vulnérables — dans l’élaboration de leurs projets.
Le ministre Lacombe devra également convaincre ses collègues des Finances et du Trésor de s’attaquer au problème de pénurie de main-d’œuvre reliés aux maigres salaires et aux mauvaises conditions de travail des éducatrices en petite enfance. S’il n’y voit pas rapidement, c’est le réseau des CPE tout entier, ce joyau tant envié par le reste du Canada, qui s’en trouvera grandement fragilisé. De tous les programmes techniques offerts dans nos cégeps, cette formation demeure parmi les moins « rentables », celles dont le salaire figure parmi les plus bas sur le marché du travail. Déjà, les CPE peinent à recruter, et ce problème est en croissance depuis des années. Au manque de places criant, s’ajoute malheureusement un inquiétant manque de personnel.
Encore ici, ce n’est pas le livre blanc annoncé par le ministre Lacombe qui viendra régler cette situation plus que préoccupante.