Impossible d’oublier le vendredi 13 mars 2020. Le cauchemar appelé COVID venait chambouler notre société et forcer, notamment, la fermeture de nos établissements d’enseignement.
Habitués de bouger en classe, combien d’enseignantes et d’enseignants se sont aménagé un bureau de fortune sur la table de cuisine, étant désormais vissés devant leur écran pour une période indéterminée ? Et sont apparus ou se sont aggravés, notamment, les maux de dos, les migraines et les sécheresses oculaires.
Carol-Anne Gauthier, enseignante au collège Champlain dans la région de Québec, en témoigne. « Malgré mes connaissances de base en ergonomie et mon portable surélevé, après quelques semaines, mon dos commençait à faire mal. Au printemps, je me suis acheté une chaise et un second écran qui m’ont coûté 700 $. »
Outre le fait qu’elle a pigé dans son porte-feuilles, ce qui lui a fait bien plus mal, c’est la surcharge de travail qui prend des proportions démesurées au fur et à mesure que les mois passent. La fatigue s’installe. La fatigue plombe le moral.
« Mes collègues et moi, on doit travailler en double depuis l’enseignement en ligne. » N’importe quel pédagogue sait qu’il faut repenser les cours, les évaluations et les stratégies d’enseignement, pour communiquer via une plateforme de communication web, souvent instable. Ça représente un travail colossal d’adaptation, sans temps additionnel de préparation.
C’est sans compter les nouveaux cégépiens désemparés, qui confient leur propre détresse à l’adulte dans l’écran : le prof de psycho, de maths ou de français. « C’est un sentiment d’impuissance. Il y a une “souffrance éthique” chez les enseignants. On nous suggère d’abaisser les attentes. Mais, on veut bien faire notre travail. C’est comme dire à un médecin que ce n’est pas grave si les patients tombent malades parce qu’on n’a pas le temps de faire les tests médicaux. »
Carol-Anne Gauthier constate que certains de ses collègues sont brûlés et désespérés. L’un a même pris sa retraite plus tôt que prévu. Un autre renonce à vingt pour cent de son salaire pour s’assurer d’une tâche allégée, plus humaine.
Hélas, les pistes de solutions se transmettent moins rapidement que la pandémie. Mais, certains profs ont tout de même décidé de se fixer des limites, de prendre les courriels à des heures plus régulières et ils décompressent durant des 5 à 7… virtuels.
Le défi d’aider au téléphone plutôt qu’en personne
Tout comme Carol-Anne Gauthier, depuis la pandémie, Jacques Moquin, intervenant au Projet suivi communautaire, s’interroge sur la qualité de son travail. Il aide des usagers aux prises avec de graves problèmes de santé mentale à gagner de l’autonomie. Ses collègues et lui vivent de l’anxiété depuis que la majorité des accompagnements se réalisent au téléphone plutôt qu’en personne, les usagers ayant rarement accès aux outils de communications web. « Au téléphone, il y a plein d’information qu’on n’a pas, l’hygiène de l’usager et l’état physique de son logement, par exemple. Là, on a beau demander et tenter de décoder les infos, on n’est jamais certain. Est-ce qu’on aide comme on devrait ? Est-ce que notre service est suffisant ? »
Heureusement, l’employeur, Jacques Moquin et ses collègues ont formé une cellule de crise pour s’adapter au changement. Les réunions d’équipe, bien structurées, aident à prendre soin de chacun et à ventiler, même si ce n’est pas optimal.
Et puis, les membres de l’équipe apprennent à prendre des pauses. « Moi, j’ai deux chiens qui jappent parfois quand je suis au téléphone, mentionne M. Moquin. Mais, je suis content de les avoir pour aller marcher entre deux appels. Il faut prendre un peu de temps pour se construire un horaire plus sain. »
Donner du temps au temps pour réduire le stress, détendre le corps et l’esprit, c’est plus facile à dire qu’à faire, relativise Carol-Anne Gauthier. « Quand t’es stressée, que t’es surchargée, tu as tendance à t’asseoir tout croche, tu te lèves moins souvent. T’as mal dans le dos, t’as mal partout et tu dors mal. Puis là, t’es moins bonne le lendemain. Il faut briser cette spirale ».