Industrie hôtelière

L’hécatombe vue de l’intérieur

Michel Paré travaille à l’Hôtel Bonaventure depuis 1988. En temps normal, il est à la réception de jour et possède le titre de superviseur et chef d’équipe. Ces jours-ci, il doit travailler de soir et faire un peu de tout, sans compter qu’il est réduit à un horaire de quatre jours par semaine. Habituellement, 190 personnes travaillent avec Michel. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 10. Portrait d’une industrie frappée de plein fouet par la pandémie.

L’industrie hôtelière québécoise a été lourdement affectée par la COVID-19. Selon des données recueillies par l’Association des Hôtels du Grand Montréal, l’industrie évaluait, à la fin septembre, des pertes moyennes quotidiennes de 2,8 millions de dollars. L’aide gouvernementale de 250 millions de dollars annoncée en juin et vouée à l’hôtellerie est loin d’être suffisante. Plusieurs hôtels ont dû fermer leurs portes pour l’hiver et le risque que certains établissements ne rouvrent pas au printemps 2021 est grand.

« Habituellement à ce temps-ci de l’année, à Bonaventure, l’hôtel est occupé à 90 % de sa capacité. Une chambre se loue entre 250 $ et 300 $ la nuit », explique Michel Paré, qui est aussi président du Syndicat des travailleuses et des travailleurs de l’Hôtel Bonaventure–CSN. « Ces jours-ci, on est occupé à 10 % de notre capacité les fins de semaine et à 5 % les jours de semaine. Et les prix ont chuté. » L’été avait pourtant donné des signes d’encouragement aux travailleuses et aux travailleurs de l’hôtel ; la clientèle était au rendez-vous et 78 personnes ont travaillé au moins un jour à l’hôtel durant cette période estivale. « Aujourd’hui, plus personne ou presque ne travaille. Une chance qu’il y a eu la PCU et l’assurance-emploi, car la moitié de nos membres n’ont fait aucune heure depuis le mois de mars. »

Difficile pour Michel Paré de savoir comment se portent ses membres qu’il ne voit plus. « De mon côté, ça va… je ne peux pas me plaindre, j’ai encore un emploi. Mais c’est sûr que de voir l’hôtel comme ça, vide, c’est triste. Habituellement, on croise plein de monde dans les couloirs réservés au personnel, et là, on est seulement deux personnes dans tout l’hôtel le soir venu, c’est désolant. »

Négocier dans ce contexte
C’est en octobre 2019 que les premiers pas de la négociation regroupée de l’hôtellerie menée par la Fédération du Commerce–CSN ont été réalisés. À ce moment, la conjoncture pour le secteur était excellente ; des taux d’occupation record, des taux de location encore jamais atteints et, surtout, des projections pour les mois, voire pour les années à venir, tout aussi excellentes.

Puis, en mars, c’est l’hécatombe. Évidemment, les négociations ont été mises sur pause. « On n’a pas le choix : on va revoir notre plate-forme de négo », souligne le représentant syndical. Cette période hors du commun apporte évidemment son lot d’ajustements que le syndicat se doit de faire. « On est conscients que l’on vit une période qui sort de l’ordinaire et on s’ajuste en conséquence. Par exemple, notre convention collective stipule que l’employeur doit nous fournir des repas chauds lors des quarts de travail. Mais les cuisines sont fermées. On ne va pas déposer des griefs là-dessus, on est compréhensifs », note le président du syndicat. Par contre, la vigilance est toujours de mise. « Nous avons un cadre qui vient faire du travail syndiqué à la réception. On veut bien être compréhensifs et reconnaître que la pandémie est exceptionnelle, mais il y a des limites à bafouer nos droits. »

Pour le syndicat, ces ajustements temporaires devront le rester. Le syndicat ne compte pas laisser l’employeur utiliser la pandémie pour affaiblir les conditions de travail de ses membres. « C’est sûr qu’en ce moment, l’employeur va de l’avant avec des mesures qui ne seraient pas passées il y a quelques mois, comme notre changement de rôle à la réception. Pour l’instant, ça peut passer… Mais ça va devoir revenir comme avant. »

La relance
Michel Paré est optimiste quant à une éventuelle reprise des activités. La réouverture des frontières américaines et outremer est la clé pour un début de retour à la normale. « Une fois les touristes revenus, les tarifs des chambres pourront revenir à ce qu’ils étaient. Il est difficile de prédire quand exactement ça va se faire, puisque plusieurs facteurs vont entrer en ligne de compte — notamment un vaccin contre la COVID —, mais on va y arriver. »

Avec sa retraite qui se profile à l’horizon en 2022, Michel Paré n’aurait jamais pu imaginer une fin de carrière aussi particulière. Mais il laissera à d’autres le plaisir de vivre cette période dorénavant baptisée « nouveau normal ».

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