Le ministre Simon Jolin-Barrette a récemment annoncé son intention de redonner ses lettres de noblesse à la Charte de la langue française, malmenée et devenue chevrotante. Il a non seulement l’intention de mieux encadrer la langue de travail, mais il vise aussi à inclure dans la loi les entreprises sous compétence fédérale. La CSN ne peut que saluer et encourager ces intentions !
Les dernières décennies libérales ont fait mal à la protection de la langue française. La reconnaissance des comités de francisation dans les grandes entreprises a perdu des plumes, l’État se bilinguise et les tribunaux ont laissé tomber les travailleuses et les travailleurs qui tentaient de faire respecter leur droit de travailler en français. Souvenons-nous que l’ancien premier ministre libéral Philippe Couillard a déjà appelé les ouvrières et les ouvriers à apprendre l’anglais « si un cadre anglophone passait par là ». Cette idéologie malheureusement répandue a contribué à un refroidissement de la défense de la langue française dans un total déni de l’anglicisation du Grand Montréal.
Quels sont les faits ?
La dernière étude de l’Office québécois de la langue française (OQLF) montre clairement que les employeurs exigent de plus en plus l’anglais dans les entreprises. L’OQLF indique en effet qu’à Montréal, 63 % des entreprises exigent la connaissance de l’anglais et que 46 % des municipalités ou des arrondissements ont rejeté un candidat à cause d’une mauvaise connaissance de l’anglais.
L’OQLF avait déjà établi que la proportion de personnes travaillant généralement en français a considérablement diminué ces dernières décennies pour atteindre 67 %, soit un taux similaire à ce qui existait avant l’adoption de la Charte de la langue française en 1977 ! À Montréal, hélas, le pourcentage atteint 41 %. Toujours selon l’OQLF, les travailleuses et les travailleurs échangent maintenant à 40 % entre eux dans une autre langue que le français.
Modifier la loi 101
Vouloir défendre la langue française dans les milieux de travail, c’est avant tout vouloir défendre une langue commune : pour offrir des formations, pour diffuser des consignes de santé et de sécurité au travail, pour développer l’esprit d’équipe et pour créer une solidarité entre les travailleuses et les travailleurs.
Trop souvent, l’argument sur l’importance de l’apprentissage des langues par les individus se confond avec le bilinguisme organisationnel. Il faut distinguer la connaissance de l’anglais pour voyager, servir des touristes ou communiquer avec des entreprises étrangères, et l’obligation des travailleuses et des travailleurs au Québec de tenir leurs réunions en anglais. Le ministre Jolin-Barrette doit donc impérativement apporter des modifications à la loi pour, entre autres, renforcer l’article 46 portant sur l’interdiction d’obliger les travailleuses et les travailleurs à parler anglais lorsque ce n’est pas nécessaire, faciliter le processus de plaintes, octroyer aux comités de francisation paritaires de véritables pouvoirs d’action et élargir l’article 141 pour inclure les outils de travail.
Par ailleurs, les efforts de francisation au travail doivent devenir plus systématiques. Défendre le droit de travailler en français n’est pas anodin. Lorsqu’une langue n’est plus utile pour le travail, elle perd de sa vitalité. Valoriser l’utilisation du français dans les milieux de travail constitue une importante clé de voûte afin d’encourager les jeunes à étudier en français, à participer à la culture francophone et à vivre en français. C’est aussi contribuer à la valorisation de la diversité linguistique devant une mondialisation uniformisante et anglicisante. Vu l’envergure de cette évolution, nous espérons que le ministre, en collaboration avec la société québécoise, fera de sa réforme de la Charte de la langue française un véritable chantier d’inclusion et de solidarité.
Jacques Létourneau, président de la CSN