La « nécessité » d’un journal de gauche revient de façon récurrente dans les rangs militants. Le 64e Congrès de la CSN n’y a d’ailleurs pas échappé, les délégué-es votant une résolution pour que soit considérée la faisabilité d’un tel projet. À l’heure de la concentration effrénée des médias et d’une couverture passablement rétrécie de l’actualité dans les régions, consécutive aux compressions idéologiques à Radio-Canada, aux changements technologiques et aux réductions des salles de nouvelles, la question demeure pertinente.
Le livre de Jacques Keable arrive à point nommé. Artisan de la première heure de l’hebdomadaire de gauche Québec-Presse, le militant et journaliste raconte la trop courte histoire de ce « quotidien du dimanche » vendu 20 cents l’exemplaire de 1969 à 1974. Il le fait sans complaisance, en exposant les difficultés, mais aussi les grands moments de cette presse libre, fertiles en événements politiques. La crise d’Octobre de 1970, le premier Front commun, la montée du Parti québécois, et puis la défense du français et les luttes féministes, étaient le quotidien des journalistes autogestionnaires du journal. Ils accomplissaient leur travail avec les moyens de l’époque, mais au fond, « si les technologies peuvent changer, le métier de journaliste et ses exigences premières de cueillette de l’information et de vérification des faits demeurent les mêmes ».
Québec-Presse « affichait ses couleurs : indépendantiste, anticapitaliste et combattant dans le sens des intérêts des classes populaires du Québec et des organisations syndicales », qu’il lui arrivait pourtant de critiquer, au grand dam de Marcel Pepin. Dans ce livre, l’auteur jette aussi un regard critique sur l’actuelle concentration de la presse. À lire pour mieux saisir cette époque et pour comprendre la seule expérience du genre dans l’histoire du Québec, afin « d’éviter de répéter les mêmes erreurs ».