En juin 1985, une retraitée du nom de Solange Denis apostrophe le premier ministre conservateur, Brian Mulroney, à la suite de sa décision de désindexer les pensions de vieillesse. « Tu nous as menti », lui lance-t-elle devant des journalistes à Ottawa. « T’es venu chercher notre vote, pis, bye bye, Charlie Brown. » Ces propos ont créé une telle onde de choc que Brian Mulroney a dû faire marche arrière et annuler la désindexation pourtant prévue dans son premier budget.
Autres temps, autres mœurs : en mars 2012, les conservateurs majoritaires de Stephen Harper ont repoussé l’âge d’admissibilité à la retraite à 67 ans, limitant ainsi le régime universel de pension déjà largement insuffisant. Malgré une forte opposition, les dispositions du régime mis en place en 1951 ont été modifiées. Les nouvelles mesures s’appliqueront progressivement à partir de 2023 jusqu’à son entrée en vigueur complète en 2029. Dès lors, les Canadiennes et les Canadiens devront patienter deux ans avant de se prévaloir de la pension de la sécurité de la vieillesse (PSV) et du supplément de revenu garanti (SRG), pour les plus pauvres d’entre eux. Pour les personnes nées avant le 31 mars 1958, aucune perte. C’est pour les autres que l’histoire se complique.
Le gouvernement a invoqué les effets du vieillissement de la population sur les finances publiques pour justifier sa réforme, soit la hausse du nombre de retraité-es, mais aussi l’augmentation de l’espérance de vie. Selon les données du Directeur parlementaire du budget sur la viabilité financière du gouvernement et les prestations aux aîné-es, les coûts du régime devraient passer en 2012 de 2,2 % du PIB (32 milliards) à 3,2 % du PIB (142 milliards) jusqu’en 2031-2032. Cependant, à partir de 2032, ces mêmes coûts vont redescendre à 1,8 % du PIB annuellement. Pourquoi alors cet empressement à réformer le régime canadien, sinon pour imposer davantage de coupes dans l’un des programmes sociaux les plus utiles ?
La pauvreté conjuguée au futur
Ainsi, les personnes nées entre le 1er avril 1958 et le 31 janvier 1962 toucheront leur pension selon une formule qui leur fera perdre progressivement des revenus de retraite sur une base mensuelle. Mais celles nées après le 1er février 1962 perdront deux années de rentes complètes — en plus de devoir travailler ou vivoter jusqu’à 67 ans —, des montants évalués à environ 6500 $ par individu par année, ce qui entraînera une hausse de la pauvreté de 6 à 17 % chez les aîné-es, dont 50 % des plus pauvres perdront 60 % de revenus, selon l’étude Reforming Old Age Security : Effects and Alternatives, menée l’automne dernier par des chercheurs de l’Université Laval et de l’Université du Québec à Montréal.
La même étude montre que cette réforme du programme, en prenant en compte ses répercussions sur les recettes fiscales, aura pour effet de diminuer les dépenses fédérales annuelles de 7,1 milliards de dollars en 2030. Ce sont donc les provinces, dont le Québec, qui devront assumer les coûts — estimés à près de 169 millions de dollars en 2030 — engendrés par le recours accru aux prestations de l’aide sociale pour compenser la perte du PSV. L’étude conclut que les femmes seront les grandes perdantes, leurs revenus étant généralement 40 % inférieurs à ceux des hommes.
En reportant l’âge de la retraite, le gouvernement Harper s’est nettement engagé dans une voie commune aux gouvernements successifs des dernières années : pelleter ses responsabilités sociales dans la cour des individus en les appauvrissant davantage. À moins que d’autres, comme Solange Denis il y a trente ans, décident de faire renverser la vapeur !
Pour en savoir plus : L’assaut contre les retraites, sous la direction de Normand Baillargeon, M Éditeur, 167 pages, avril 2015