En septembre 2015, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, avait déposé une série d’amendements au projet de loi 20 adopté en novembre dernier. Ces modifications visent à légaliser la tarification de certains services de santé, mieux connue sous le nom de frais accessoires.
Bien que cette pratique — qui contrevient à la Loi canadienne sur la santé visant à garantir la gratuité des services et des soins — ait cours depuis de nombreuses années, le gouvernement libéral vient de la légaliser officiellement. Il ouvre ainsi la voie à une privatisation de plus en plus assumée du système de santé et des services sociaux.
Inquiet de l’expansion de ces frais, le comité de lutte en santé de la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles a entrepris de documenter le sujet il y a quelques années. En février 2015, la clinique lance un registre visant à recueillir les témoignages des patients soumis à cette tarification. En novembre, elle sonne l’alarme en dévoilant un rapport qui dénonce une pratique qui constitue « un obstacle à l’accessibilité aux soins et aux services de santé ».
Même si ses données sont limitées, le registre a tout de même permis de traiter 527 déclarations. Les soins ou services facturés concernent majoritairement les frais administratifs (34 %) et les médicaments ou agents anesthésiques (39 %). En moyenne, les frais facturés par les médecins généralistes s’élèvent à 63 $ et à 91 $ par les médecins spécialistes. Au total, 92 % des frais sont perçus dans des cliniques dites « privées » qui, pourtant, offrent des actes médicaux couverts par la RAMQ.
La peur du médecin…
Le registre permet de dresser un autre constat inquiétant, la peur du médecin ou la peur de le perdre. Ainsi, le tiers des personnes interrogées exige l’anonymat complet et plus de 80 % d’entre elles refusent que leur identité soit dévoilée. Pour les auteurs du rapport, « les peurs sous-jacentes à la déclaration de leur identité ne sont pas étrangères à la relation de pouvoir qui existe entre un médecin et son patient ».
Pour la clinique, « le développement de la pratique de la facturation [des soins médicaux] au sein de notre régime de santé public entraîne une barrière à l’accès aux soins pour la population ». Elle rappelle que les actes médicaux posés hors établissement sont majorés afin de permettre aux médecins de couvrir leurs frais administratifs. Cette surfacturation fait en sorte que cette pratique devient de plus en plus lucrative, créant ainsi une nouvelle pression sur le reste du réseau. Puisqu’il est plus payant de pratiquer en clinique privée, les médecins désertent le réseau public et les listes d’attente s’allongent.
Des recommandations partagées
La CSN s’est jointe à la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles dans une large coalition réunissant des syndicats, le Regroupement de médecins pour un régime public, des avocats et d’autres groupes sociaux avec l’objectif de contrer la volonté du ministre Barrette de normaliser et légaliser les frais accessoires. Pour atteindre cet objectif, la clinique dresse une liste de recommandations dont l’abolition des frais facturés aux patients et le paiement par le ministère de la Santé et des Services sociaux des 50 millions de dollars qu’ils représentent. La clinique demande aussi au gouvernement fédéral d’intervenir directement afin de faire respecter la Loi canadienne sur la santé.
Pour Jean Lacharité, vice-président de la CSN, « il s’agit d’une initiative citoyenne remarquable qui permet de prendre toute l’ampleur de ce phénomène et des conséquences néfastes sur l’accessibilité aux soins. J’ai été personnellement frappé par le climat de peur qui peut régner dans la relation patient-médecin, alors que cela devrait être tout le contraire ».