Il y avait longtemps qu’on avait vu une manifestation telle que celle du Front commun qui rassemblait quelque 150 000 personnes dans les rues de Montréal le 3 octobre dernier. Jamais on n’avait vu un mouvement de grève rallier 400 000 travailleuses et travailleurs à la grandeur du Québec.
L’exercice du droit de grève des salarié-es du secteur public a été l’aboutissement d’une mobilisation mise en œuvre il y a plus d’un an. Les membres des quatre fédérations du secteur public de la CSN (Fédération des employées et employés de services publics, Fédération de la santé et des services sociaux, Fédération des professionnèles, Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec) se sont alors mis en action pour soutenir les négociations. Plans d’action sectoriels, activités de mobilisation régionales aux quatre coins du Québec, manifestation nationale du 3 octobre dernier, exercice du droit de grève : tout a été mis en œuvre afin de démontrer au président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, la détermination des travailleuses et des travailleurs à améliorer leurs conditions de travail, à maintenir la qualité des services publics et à en défendre l’accessibilité.
De nombreuses équipes de travail de la CSN ont été mises à contribution, particulièrement celles du Service d’appui à la mobilisation et à la vie régionale, pour construire une telle mobilisation. « De Gatineau à Havre-Saint-Pierre, de Sherbrooke à Kuujjuarapik en passant par Rouyn-Noranda, de Saguenay à Chibougamau, de Québec à Gaspé, dans toutes les villes et les villages du Québec, les membres ont répondu à l’appel, mentionne le président de la CSN, Jacques Létourneau. J’ai été témoin de franche camaraderie, de sourires contagieux, de bras ouverts, de poings levés, de grands élans de solidarité. Mais je n’ai jamais rien vu de comparable à la grève qu’ont menée les travailleuses et les travailleurs du secteur public au cours de l’automne. »
En parcourant les lignes de piquetage, Jacques Létourneau a également pu constater concrètement la solidarité de la population. « Jamais je n’avais senti un appui aussi fort de la population, qui nous le témoignait en klaxonnant ou tout simplement en s’arrêtant pour discuter avec nous. Ce que nous ont dit les gens, c’est qu’ils comprenaient l’importance de notre lutte. Ils comprenaient que nous nous battions pour maintenir des services publics accessibles et de qualité et que, pour y arriver, nous devions améliorer les conditions de travail des travailleuses et des travailleurs qui y sont dévoués. » Cet appui s’est d’ailleurs reflété dans un sondage réalisé à l’automne pour le Journal de Montréal et le journal Le Devoir, qui indiquait que 64 % de la population croyait que le gouvernement gérait mal les négociations en cours. Elle appuyait les syndicats dans une proportion de 51 %, contre 28 % seulement pour le gouvernement.
Place à la négociation
C’est grâce à ce puissant rapport de force que le Front commun a pu déposer, le 18 novembre dernier, une contre-proposition afin de débloquer les impasses aux tables de négociation. De plus, pour démontrer sa bonne foi et le sérieux de sa volonté de laisser toute la place à la négociation, ce qui permettrait de convenir d’une entente dans les meilleurs délais, le Front commun annonçait le report de certaines journées de grève. L’espace créé a favorisé l’intensification des travaux et un changement de ton dans les discussions. Pour la première fois en un an, le gouvernement s’est véritablement mis en mode négociation. Toutefois, Francine Lévesque, vice-présidente de la CSN, avait prévenu que « le report des journées de grève pourrait s’avérer de courte durée si l’on ne constatait aucun mouvement significatif de la part du gouvernement aux tables de négociation ». Puisque des blocages importants subsistaient, tant aux tables sectorielles qu’à la table centrale, notamment sur les conditions de travail, les salaires et le régime de retraite, le Front commun annonçait la tenue d’une journée de grève nationale le 9 décembre. « Les négociations ne doivent pas seulement s’intensifier, elles doivent mener à des réponses concrètes aux demandes que nous avons déposées et, ultimement, à une convention signée », ajoutait madame Lévesque.
Pour signifier leur appui à la négociation, les membres du secteur public ont poursuivi leur mobilisation en menant de nombreuses actions dans les jours qui ont précédé la grève nationale. Ils ont notamment organisé des lignes de piquetage le 2 décembre et des actions de perturbation locales se sont tenues en collaboration avec nos partenaires du Front commun. De plus, tous les moyens de pression déjà en place dans les établissements du réseau de la santé, des services sociaux, de l’éducation et des organismes gouvernementaux se sont poursuivis.
Afin d’isoler Martin Coiteux au sein du caucus libéral, le Front commun a également lancé une chasse aux députés libéraux au cours des dernières semaines de l’automne. « Il n’était pas normal que les députés du Parti libéral puissent participer à des rencontres publiques sans nous trouver sur leur chemin pour leur rappeler que l’arrogance et l’insensibilité de Martin Coiteux nuisaient à l’ensemble de la population du Québec, indique la responsable de la mobilisation au comité exécutif de la CSN, Véronique De Sève. De nombreuses rencontres ont ainsi été perturbées. Le Front commun a même empêché Martin Coiteux de prendre la parole devant la Chambre de commerce de Sainte-Catherine, en Montérégie, et à quelques reprises devant celle de Montréal. Nous avons toujours cru que notre mobilisation devait être forte dans l’ensemble des régions du Québec. Grâce à la mobilisation des membres du secteur public, au travail soutenu de l’ensemble des équipes régionales de la CSN et à l’appui sans réserve des élu-es des fédérations et des conseils centraux de la CSN, nous avons pu établir tout un rapport de force. »
Au final, l’extraordinaire mobilisation des membres du Front commun aura forcé Martin Coiteux à sortir du cadre financier qu’il voulait imposer à cette négociation, permettant ainsi des gains significatifs pour l’ensemble des travailleuses et des travailleurs du secteur public.