Un reportage d’Amélie Nguyen, coordonnatrice du Centre international de solidarité ouvrière (CISO)
Loin de s’être affaiblis suite au coup d’État de 2015 ou à l’attentat du 12 janvier 2016, les groupes de la société civile au Burkina Faso demeurent organisés, forts et mobilisés pour favoriser une amélioration des conditions de vie de la population et faire face à la « vie chère » ensemble. Nous les avons rencontrés en décembre 2016 pour faire le point sur l’action du CISO, dont est membre la CSN.
En 2014, malgré les coupures de financement imposées par le gouvernement Harper, le CISO et ses membres décident de financer un projet d’appui aux travailleuses et travailleurs de l’économie informelle au Burkina Faso, d’une durée de deux ans. C’est alors que se consolide une collaboration entre deux intersyndicales : le CISO au Québec et au Burkina, l’Unité d’action syndicale (U.A.S.), deux syndicats autonomes d’enseignants ainsi que la coordination locale de la Marche mondiale des femmes. Les préoccupations de genre sont au coeur du projet, puisque 74% des travailleuses et travailleurs de l’économie informelle sont des femmes.
L’austérité en cause
L’économie informelle, en marge du contrôle de l’État, est caractérisée par des salaires extrêmement bas, des heures de travail illimitées, une absence de protection sociale (pension de vieillesse, assurance santé, congés de maternité, etc.), de piètres conditions de santé et sécurité au travail et une grande insécurité financière et psychologique. Ce sont souvent les secteurs les plus pauvres et les plus vulnérables de la société qui y sont confinés et dans le cas du Burkina Faso, des travailleuses et travailleurs souvent peu alphabétisé.e.s.
Cette « économie de la débrouille », fruit de la résilience de populations marginalisées par le capitalisme mondialisé, occupe plus de 80% de la main d’œuvre burkinabé. L’austérité si chère à nos gouvernants y est pour quelque chose ; en effet, les mesures d’ajustement structurel imposées dans les années 80 et 90 par les grandes institutions financières internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international) à l’État burkinabé ont gonflé les rangs de l’économie informelle, repoussant des travailleuses et travailleurs qualifié.e.s du secteur public vers la précarité et l’informalité et affaiblissant du même coup le mouvement syndical burkinabé. Le produit intérieur brut par habitant.e (en dollars constants de 2005) était de 630 $US au Burkina Faso en 2015, l’un des plus faibles au monde ; à titre de comparaison, il était de 50 000$US au Canada.
Un partenariat novateur
En décembre dernier, des membres de l’équipe du CISO se sont rendus au Burkina Faso à l’occasion du démarrage d’un nouveau projet : « Coordination Intersectorielle Burkinabè pour L’Emploi – CIBLE travail décent ». Ce projet, qui s’échelonnera sur les 3 prochaines années, sera mis en œuvre en collaboration avec une coalition d’organisations de la société civile burkinabé avec l’appui financier du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec. Il constitue en quelque sorte une seconde phase du « Projet d’appui au secteur de l’économie informelle » entrepris par le CISO en 2014 et vise à faire valoir et reconnaître les revendications des travailleuses et travailleurs de l’économie informelle dans le cadre du dialogue entre le gouvernement et les syndicats, par un appui à leur organisation, ainsi que par des formations sur le travail décent et des formations techniques liées à leur métier.
Si des formations sur les droits de la personne, la santé et la sécurité, la gestion de petites entreprises seront notamment données, l’intérêt du projet est qu’il rassemble les travailleuses et travailleurs afin qu’ils s’organisent ensemble et soient mieux à même de mieux faire valoir leurs revendications au sein des organisations syndicales et leurs droits auprès du gouvernement du Burkina Faso. Le groupe-cible est composé de femmes à plus de 60% et le projet vise également les jeunes de l’économie informelle.
Le projet a été lancé officiellement à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso par les partenaires du projet et le CISO, en présence des médias et avec la participation active d’un nombre important de travailleuses et travailleurs de l’économie informelle.
Le partenariat novateur entre la Marche mondiale des femmes et les syndicats semble particulièrement porteur. Les croisements entre ces cultures organisationnelles et ces mandats différents engendrent un apprentissage mutuel qui teintera l’action des groupes de femmes et des syndicats au terme des 3 années de collaboration. Nous souhaitons ainsi que la lutte pour l’égalité des genres soit portée par les femmes de l’économie informelle, qui seront des actrices-clé du projet en tant qu’éducatrices et que mobilisatrices dans leur milieu.
Reste à dire que l’Unité d’action syndicale de Bobo-Dioulasso a chaleureusement remercié les syndicats québécois pour leur appui solidaire suite au coup d’État, qu’une mobilisation populaire exemplaire et rapide est parvenue à tuer dans l’œuf, limitant les violences fratricides.
Souhaitons que cette solidarité entre les travailleuses et travailleurs du Québec et du Burkina Faso se poursuive et s’accroisse dans les années à venir, à travers la richesse des échanges et des apprentissages réciproques ; d’un côté ou l’autre de la planète, nos luttes ont beaucoup plus en commun qu’on pourrait le croire.