Photo : Ian Caron

Services de santé d’urgence

Les héros de Saint-Paulin

Avec leurs collègues, notamment ceux qui prennent leur relève une semaine sur deux, ils répondent à 800 appels d’urgence médicale par année, couvrant, avec deux ambulances – une seule les soirs et la nuit – quelque 1200 km2 de territoire, soit la superficie des villes de Montréal, Québec et Gatineau réunies !

C’est pour des questions budgétaires que les services préhospitaliers d’urgence en milieu rural fonctionnent sur de tels horaires, dits de faction ou 7/14. Une situation officiellement temporaire… qui dure depuis des décennies ! Ces horaires ont évidemment un impact considérable tant sur l’organisation du travail que sur la qualité de vie des paramédics, bien que certains trouvent avantageux d’être complètement libres une semaine sur deux. Toutefois, en ce qui a trait à la qualité des services à la population, il est clair que cette pratique peut engendrer des délais d’intervention plus importants alors que dans certaines situations, le temps d’intervention fait la différence entre la vie et la mort.

Alexandre Gendron habite la caserne, une semaine sur deux. Il sera bientôt papa et sa conjointe vient le voir de temps en temps. Leur domicile familial est situé trop loin de la caserne pour qu’il puisse y attendre un appel en vaquant à ses obligations familiales. « J’ai toujours aimé aider les gens, dit-il. J’ai été préposé aux bénéficiaires avant d’être paramédic. Je suis vraiment bien là-dedans. En plus, j’ai besoin de cette adrénaline et j’aime bien ne jamais savoir d’avance comment va se passer ma journée. »

Son coéquipier, Kevin Cossette, lui, a choisi d’emménager à quelques pas de la caserne de Saint-Paulin. Il y vit avec sa petite famille. Un placard, près de la porte d’entrée, sert exclusivement à entreposer son matériel et son uniforme qu’il doit enfiler à la vitesse de l’éclair pour sauter dans l’ambulance, y rejoindre Alexandre, à chaque appel d’urgence. En fait, Kevin est si rapide qu’il arrive parfois à l’ambulance en même temps qu’Alexandre qui dort à côté ! Personnellement, il s’accommode bien de l’horaire 7/14 et du fait que cela lui donne sept jours consécutifs pour s’occuper exclusivement de sa jeune famille, ce que peu de personnes peuvent se permettre. Il a d’ailleurs déjà travaillé en caserne avec un horaire régulier, mais il préfère sa situation actuelle. « Ce qui me dérange cependant, avec cet horaire, c’est que je sais bien que pour plusieurs de mes collègues, ça ne répond pas à leurs attentes et puis ce n’est pas l’idéal du point de vue des services à la population. »

Perspectives CSN les a rencontrés le lundi 8 août 2016. Quelques jours auparavant, ils étaient intervenus, en pleine nuit, pour secourir une fillette en arrêt cardiorespiratoire. Déjà morte à leur arrivée, un peu plus de 20 minutes après que l’appel ait été enregistré à la centrale d’urgence, ils ont tout tenté pour la ranimer, sans succès. Ils ont trouvé ça difficile. « On est préparés à ça, assure Kevin. Mais quand le médecin, à l’hôpital, a annoncé au père qu’elle était morte, sa réaction m’a touché, moi aussi j’ai pleuré. »

Priorité 3, code 21

Ce 8 août, c’était une journée un peu plus tranquille pour les héros de Saint-Paulin. Un seul appel leur est dédié, vers 19 h 30. C’est une priorité 3, un code 21. L’ambulance doit se rendre à environ une demi-heure de route de la caserne. En chemin, les informations se raffinent. Une dame est aux prises avec des saignements de nez abondants et répétitifs. Les paramédics échangent sur les différentes possibilités de façon à être bien préparés mentalement pour l’intervention. Ils ne font pas de diagnostic. Toute leur pratique est gérée par des protocoles stricts couvrant pratiquement toutes les situations. Ils amèneront la patiente jusqu’à l’urgence de l’hôpital le plus approprié et lui administreront les premiers soins tout au long du trajet.

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Derrière le volant, Kevin nous fait remarquer que si par malheur une autre urgence se déclarait sur leur territoire, il faudrait faire appel à une autre ambulance stationnée très loin de Saint-Paulin, à Louiseville, voire à Shawinigan. Or, pour sauver des vies, chaque minute compte.

Arrivés à 20 h au domicile de la patiente, Kevin et Alexandre prennent la situation en main et constatent l’état de la patiente selon leurs protocoles d’intervention. Le retour vers l’hôpital se fera sans les gyrophares, car la situation n’est pas urgente. La patiente sera finalement déposée à l’hôpital de Louiseville vers 20 h 15. Tout au long du trajet, Alexandre multiplie les petites attentions envers la dame alors qu’il lui administre les premiers soins et contrôle ses signes vitaux.

C’est décidément un travail de sang-froid, mais aussi d’empathie et d’altruisme. « C’est sûr qu’il faut aimer entrer en relation avec les gens pour faire ce travail. Le monde nous fait vraiment très confiance et ça, c’est très valorisant. On ne fait pas que soigner. Souvent, on fait du travail social. On doit trouver le moyen de calmer les gens, de les mettre en confiance. Les gens croient qu’on travaille toujours avec des mourants, des accidentés graves, mais dans les faits, c’est une minorité de nos interventions ! Le défi, c’est surtout de garder un certain détachement dans ces relations humaines qu’on crée », nous explique Kevin. Nous avons pu constater à quel point Kevin et Alexandre sont appréciés et respectés dans leur communauté. Tout le monde au village sait très bien qu’un jour ils pourraient devenir leurs héros…

Le conjoint de la patiente nous suit en automobile jusqu’à l’hôpital. Pourquoi avoir appelé l’ambulance dans ce cas ? « Je ne sais pas ce qu’il en est de ce cas précis, dit Kevin. Il peut y avoir toutes sortes de motifs légitimes. Mais je pense généralement qu’il faudrait en faire plus quant à l’éducation. Par exemple, il y a beaucoup de gens qui croient encore que parce qu’ils arrivent en ambulance, ils vont passer plus vite à l’urgence. Ça, c’est complètement faux. Ils vont prendre la voie normale du triage dès leur arrivée à l’hôpital et dans la plupart des cas, le transport par ambulance leur sera facturé. »

Et la négociation dans tout ça ?

Entrevue avec Dany Lacasse, vice-président des secteurs privés, FSSS–CSN

Retrouve-t-on encore beaucoup d’horaires 7/14 dans le milieu préhospitalier ?

Malheureusement, il y en a encore trop, considérant les délais supplémentaires que ça ajoute à chaque intervention. Ces situations sont concentrées dans les milieux ruraux, mais aussi dans quelques zones semi-urbaines. Dans certains endroits, on est encore en horaires 7/14 malgré qu’on y enregistre jusqu’à 1500 appels par année. La conséquence, c’est que les citoyennes et citoyens qui habitent dans ces municipalités n’ont pas le même niveau de services que d’autres qui vivent dans les villes. Ce n’est pas normal.

Le secteur préhospitalier est présentement en négociation pour renouveler les conventions collectives. Est-ce que ça fait partie des enjeux ?

Oui, dans la négociation actuelle, nous réclamons l’abolition complète de ce type d’horaire. Évidemment, il y a des territoires où c’est plus facile à mettre en œuvre que d’autres. Mais ces horaires, en plus de nuire aux services, minent la qualité de vie au travail. Quand ils ont été instaurés au départ, c’était une solution temporaire à cause d’un manque d’effectif. Aujourd’hui, ils n’ont plus de raison d’être. Même la loi de la CSST avait dû être modifiée pour permettre ce type d’horaire : ça illustre à quel point c’est anormal. Une partie de la solution, c’est de travailler à intégrer davantage les paramédics au réseau public de la santé et des services sociaux. Si on utilisait leurs compétences de façon optimale, c’est tout le système qui en sortirait amélioré.

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