Selon la formule, une baisse du taux de change ($ US/$ CA) permettrait d’accroître les exportations en direction des pays où la monnaie est plus forte. Inversement, un taux de change trop élevé les réduirait. Si cette logique semble implacable, la réalité n’est pas aussi simple. En effet, le boom attendu dans les exportations canadiennes depuis la chute du taux de change n’est pas au rendez-vous. Selon François Bélanger, économiste au Service des relations du travail de la CSN, « certains analystes reconnaissent que la faiblesse du taux de change n’a plus un impact aussi important qu’avant sur les exportations manufacturières au Canada ».
Bien qu’il soit vrai que le taux de change influence le niveau des exportations, plusieurs autres éléments affectent aussi le commerce international. Par exemple, la crise économique de 2007-2008 qui a sévi chez nos voisins du Sud semble avoir fait diminuer fortement les exportations, et cela, même si le dollar canadien s’est déprécié entre 2008-2009. Aussi, après une longue période de baisse des exportations vers le marché américain, la place qui revenait au Canada est maintenant chaudement disputée par certaines économies émergentes, comme la Chine et le Mexique. « Nous avons déjà exporté plus de 80 % de notre production vers les États-Unis, maintenant, c’est un peu plus de 70 %. Cette place a été prise par d’autres et c’est désormais à nous de les déloger », explique François Bélanger. D’ailleurs, il faut comprendre que le dollar américain ne s’est pas seulement apprécié face au dollar canadien, mais également face aux monnaies de ces nouveaux concurrents, annulant ainsi l’effet de levier dont auraient pu bénéficier les produits canadiens.
Certaines décisions politiques prises par nos voisins pèsent aussi très lourd dans la balance. À la suite de la récession de 2008, les États-Unis ont décidé de développer une politique industrielle visant à accroître la production et à rapatrier certains secteurs. « Cette pratique s’appelle on shoring, par opposition aux off shoring qui consistent à délocaliser des industries, et ils la mènent de façon particulièrement vigoureuse. Nous l’avons vu au Québec quand la ville de Memphis est venue chercher Electrolux. Ils accordent plusieurs avantages afin de rapatrier la production », note François Bélanger. Pour soutenir son secteur industriel, Washington a mis en place certaines mesures protectionnistes comme en fait foi le Buy American : « On a sous-estimé le protectionnisme américain, nous étions persuadés qu’à 70 cents, les carnets de commandes allaient déborder, et ça n’a pas été le cas », indique Alain Lampron, président de la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM–CSN).
Notre industrie en partie responsable
S’il est vrai que la situation socioéconomique des États-Unis joue un rôle majeur pour comprendre la situation actuelle des exportations canadiennes, il serait simpliste de s’arrêter là. Les compagnies canadiennes sont aussi responsables de la situation actuelle. Plusieurs grandes entreprises ont, pour de multiples raisons, créé des filiales sur le territoire américain. « Une tendance semble se dégager pour les grandes entreprises : au lieu d’exporter de façon traditionnelle à partir d’un pays X, elles choisissent de produire directement sur le marché visé en y implantant des filiales », observe François Bélanger.
La chute des exportations a grandement affecté le secteur manufacturier canadien et québécois. « La capacité industrielle n’est plus la même. Plus de 160 000 emplois ont été perdus depuis 2002 pour se situer, en 2013, à 490 000 emplois. Au-delà de ces pertes, il faut savoir que des usines ont fermé et que des chaînes de production ont été démantelées. Notre capacité industrielle n’est plus la même, et cela, au moment où notre place sur certains marchés est plus que jamais concurrencée », soutient François Bélanger. De son côté, Alain Lampron est catégorique : « Les entreprises auraient dû profiter de la force du dollar pour investir, mais elles ne l’ont pas fait et aujourd’hui, nous sommes moins compétitifs, quand on ne se fait pas carrément dire que nous sommes désuets. »
Un prétexte pour s’attaquer aux salariés
Bien que de nombreux spécialistes s’entendent pour minimiser les impacts du taux de change, il semble que celui-ci ait maintes fois servi de justification aux employeurs pour rouvrir les conventions collectives et imposer des reculs importants aux salarié-es.
« L’ensemble de nos syndicats subissaient ce type de menaces : “On a de la misère” ou “on n’a plus la même marge de manœuvre”, etc. Il y en a eu des renégociations et même des ralentissements », se souvient Alain Lampron. Pour sa part, François Bélanger appelle à relativiser l’impact d’un dollar fort sur les entreprises. « S’il est vrai que la masse salariale augmente, les coûts liés aux importations ou à l’acquisition de nouvelles machineries, eux, diminuent, la volatilité des taux de change comporte donc des avantages et des inconvénients. »
Pour un virage qualitatif
Là où le taux de change intervient, c’est sur le prix des produits. Un taux de change faible permet d’offrir des marchandises à moindre prix. Les entreprises exportatrices pourraient, si elles le voulaient, opérer un changement qualitatif. « Plutôt que d’espérer que le taux de change leur donne un avantage quantitatif, pourquoi ne pas s’orienter vers une production de marchandises à forte valeur ajoutée ? », se questionne François Bélanger. Il faudrait donc investir davantage dans la recherche et le développement, tout en s’assurant que les innovations contribuent à la production industrielle canadienne plutôt que d’être envoyées ailleurs dans le monde. Ce virage permettrait de compenser la fluctuation du taux de change en offrant sur le marché international des produits incontournables, peu importe leur prix, à forte valeur ajoutée.
Plutôt que de voir le taux de change comme une fatalité, positive ou négative, il serait grand temps d’innover et de développer l’économie canadienne et du Québec afin de les immuniser le mieux possible face à ces fluctuations des cours monétaires.
Ces deux secteurs sont probablement les plus sensibles aux soubresauts du dollar. Un taux de change trop fort entraîne rapidement un ralentissement de l’activité pour deux raisons. D’une part, le touriste étranger évitera les destinations où le taux de change est trop élevé, puisqu’il lui en coûtera plus cher pour voyager. D’autre part, les touristes locaux vont profiter de la force de la monnaie pour sortir et voyager à l’étranger.
Bien entendu, la faiblesse actuelle du dollar, parce qu’elle attire les touristes étrangers, tout en gardant « captifs » les vacanciers du Canada, a un effet positif sur ces secteurs. Selon Michel Valiquette, trésorier de la Fédération du commerce (FC–CSN) et responsable du secteur de l’hôtellerie, l’effet est non seulement immédiat, mais il est également projeté dans le temps. « L’année 2014 fut une bonne année, 2015 fut une excellente année, les hôteliers ont enfin réussi à augmenter les taux d’occupation au-dessus des moyennes, chose qu’ils n’avaient pas réussi à faire depuis la crise de 2008. Si l’on se projette dans le temps, 2016 et 2017 s’annoncent également très bien. En effet, même si l’on ne connaît pas encore le taux de change, plusieurs événements internationaux, congrès et autres, auront lieu à Montréal, auxquels vont s’ajouter les activités entourant le 375e anniversaire de la ville de Montréal, preuve que la valeur du dollar n’est pas le seul facteur à influencer la vigueur de ces secteurs », explique-t-il.