Aux nouvelles plateformes se greffent de nouvelles tâches. L’environnement médiatique s’accélère, il faut faire plus avec moins. L’épuisement des troupes est bien réel, et la qualité de l’information, en péril. Perspectives CSN a assisté au colloque « L’information, le 4e pouvoir sous pression », organisé par la Fédération nationale des communications (FNC–CSN), la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), le Centre d’études sur les médias et le Conseil de presse du Québec.
Aujourd’hui dans les médias, tout le monde, journalistes ou patrons, s’entend pour dire que rien n’est plus pareil depuis l’accélération du numérique, la multiplication des plateformes et le développement fulgurant des médias sociaux. Cette révolution numérique bouleverse les codes et les pratiques. Elle a fait plusieurs victimes et ce n’est pas terminé.
Tous les médias d’information se cherchent un modèle viable, le support papier agonise. L’avenir est sur le net, mais la rentabilité se fait attendre. Il faut survivre, en attendant de trouver LA formule magique, le Graal.
Au cœur de la spirale, les journalistes et artisans de l’information qui tentent, eux aussi, de survivre et d’exercer le métier qu’ils aiment. « On mesure mal l’impact de ces changements sur la qualité de l’information journalistique et sur le travail des journalistes eux-mêmes », nous dit Judith Dubois, professeure de journalisme à l’École des médias de l’UQAM et auteure d’une recherche menée auprès de 121 journalistes d’expérience. « Les changements technologiques des dernières années ont réduit ce temps précieux dont les journalistes ont besoin pour bien faire leur travail. La pression pour faire plus avec moins et de plus en plus vite ne semble pas sur le point de s’arrêter, alors que la capacité de produire de l’information de qualité, elle, semble avoir atteint ses limites. »
Les journalistes interrogés reconnaissent bien sûr l’utilité des innovations technologiques, mais déplorent la nouvelle charge de travail et l’accélération des cadences qui les empêchent de bien faire leur travail. Ce commentaire d’un journaliste participant à la recherche en dit long sur les nouvelles pratiques : « L’obligation de produire en temps réel est devenue un dogme qui est en train de tuer le véritable journalisme qui suppose un temps de réflexion et de vérification des faits. Il y a de plus en plus de journalistes qui quittent le métier, parce qu’il y a une limite à ce que tu peux produire et à la vitesse à laquelle tu peux travailler. »
Un propos que reprend sans hésiter la présidente de la FPJQ, Lise Millette : « Depuis 2007, on a réduit de plus de la moitié les producteurs de contenus aux États-Unis, le même phénomène a aussi touché nos salles de rédaction. Quand on demande aux journalistes de tout faire sur toutes les plateformes, on fait une grave erreur. »
Le fait de servir à la fois le web, le journal et Twitter a des conséquences importantes, selon Valérie Lessard, journaliste et vice-présidente de la FNC–CSN. « Réécrire trois fois la même histoire sur des plateformes différentes, ça nous empêche d’arriver à un produit qui, le lendemain matin, va être vraiment pertinent pour nos lecteurs, en fonction de ce qu’on a à faire en presse écrite », déplore madame Lessard.
Une crise bien réelle
Les propriétaires des médias, surtout écrits, ne veulent plus entendre parler de « crise des médias ». Dorénavant, il faudrait plutôt parler de « médias en transition » pour ne pas effrayer les publicitaires qui les font vivre.
La crise est pourtant bien réelle et les revenus ne sont pas au rendez-vous, comme l’explique Claude Dorion, directeur général de la firme MCE Conseils : « Du côté des médias papier, l’argent de la publicité s’en va chez Google et Facebook, et les producteurs de contenus d’ici ne touchent presque rien. On a plus d’information que jamais, mais des acteurs majeurs de l’information au Québec pourraient ne pas survivre, surtout en presse régionale. Les revenus reliés à la presse papier sont en chute importante. Aux États-Unis, en 10 ans, 50 % des revenus ont disparu. Seulement 10 % de ces revenus ont pu être récupérés par leur média en ligne. Si ça continue, il va peut-être rester des publications papier pour l’art et l’architecture, mais l’information générale est menacée de disparition du paysage papier. »
Un point de vue que partagent les dirigeants des entreprises de presse comme Éric Trottier, vice-président information et éditeur adjoint du quotidien La Presse. « C’est clair que les journaux papier sont appelés à disparaître, petit à petit. J’entends encore plein de dirigeants de journaux dire qu’ils croient encore très fort aux journaux imprimés, même si 63 % des revenus publicitaires destinés au papier journal ont disparu depuis 10 ans », déplore le dirigeant.
Pour Claude Gagnon, PDG du Groupe Capitales Médias, il ne fait aucun doute que le support papier est condamné à disparaître : « Ce qui est important, c’est que l’information demeure. Qu’on la lise sur du papier, qu’on la lise sur une tablette, sur un téléphone, ça ne changera absolument rien. Ce qui est encourageant, c’est que depuis 25 ans, nous n’avons jamais eu autant de lecteurs. Le phénomène multiplateforme nous amène une nouvelle clientèle. »
L’abandon du format papier en semaine a été un vif succès selon Éric Trottier de La Presse, « jamais La Presse n’a eu autant de lecteurs dans toute l’histoire du journal. Notre défi maintenant, c’est de rejoindre les jeunes de 20 ans qui, en ce moment, se contentent de regarder Facebook sur leurs téléphones. Nos lecteurs de 70 ans sont déjà avec nous. »
Le modèle de La Presse +, réalisé à grands frais, n’est pas à la portée de toutes les bourses. Ce modèle de gratuité fait d’ailleurs sourciller le professeur Pierre C. Bélanger, du département de communication de l’Université
d’Ottawa. « Je m’interroge sur ce modèle, parce que dans tout ce qui se fait sur la planète, il n’y a que deux médias qui donnent l’information gratuitement sur le web : The Independant au Royaume-Uni et La Presse +, ici au Québec, qui mise beaucoup sur la rentabilité de son modèle d’affaires. Pourquoi tous les autres vendent-ils leur information ? La réalité, c’est que 75 % des principaux journaux américains tarifent leur information sur le web et préfèrent vous demander un petit 4 $ par mois. Pour moi, le modèle de gratuité de l’information ne semble pas fonctionner. »
Oui à l’aide gouvernementale
Tant que les entreprises de presse ne seront pas parvenues à monnayer les contenus, leur situation demeurera précaire. L’information dans le secteur privé est la seule qui ne reçoit pas sa part d’aide financière des gouvernements.
Aujourd’hui, les médias papier sont presque tous en faveur d’une aide gouvernementale. Claude Dorion de MCE Conseils rappelle que « les milliers d’emplois perdus au Canada dans les médias ont privé les gouvernements de millions de dollars en recettes fiscales. Nous, nous croyons que le gouvernement peut aider ce secteur comme il le fait pour d’autres tel que le secteur des jeux vidéo afin d’assurer une diversification des revenus et permettre au secteur de la presse écrite d’assurer la transition. »
En Finlande, l’aide de l’État est parvenue à assurer la rentabilité des entreprises de presse, sans contraindre les médias ni compromettre la qualité de l’information. En ce domaine, le Québec et le Canada font figure de « parents pauvres ». Les journaux du Québec reçoivent une aide gouvernementale annuelle d’environ trois dollars par habitant contre 92 dollars pour les journaux finlandais. Au Canada, le fédéral ne contribue que pour 31 dollars par habitant au financement de Radio-Canada, alors que certains pays, comme la Norvège, consacrent 164 dollars par habitant à leur télévision publique.
En attendant une hypothétique aide de l’État, ce sont les journalistes et autres artisans producteurs de contenus qui font tourner la machine et qui, chaque jour, mettent en jeu leur réputation et leur intégrité, comme le souligne Francine Bousquet, coordonnatrice à la FNC–CSN : « L’information de qualité, ce sont les journalistes qui la font et la qualité de l’information, ce sont les journalistes et les syndicats qui l’ont toujours défendue. Je ne connais pas un seul syndiqué qui est contre ça. Moderniser nos conventions, c’est aussi ce qu’on fait depuis longtemps afin que l’information continue d’être faite par des humains, et non pas par des robots. »