Signer le PTP

Un recul pour le Canada

Suivant l’accord de principe d’un Partenariat transpacifique (PTP), annoncé le 5 octobre dernier après plus de cinq années de négociations secrètes, voilà maintenant que les ministres des 12 pays du PTP ont convenu de se rencontrer le 4 février prochain, à Auckland en Nouvelle-Zélande, afin de procéder formellement à la signature de l’accord. L’évènement revêt son importance car il marque le coup d’envoi pour que, dans chaque pays, s’enclenche le processus de ratification législative. Une réaction du Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC), auquel est membre la CSN.

Or, le gouvernement libéral de Justin Trudeau s’est engagé à la transparence et à réaliser un débat approfondi et ouvert avant que le processus de ratification ne débute, de façon à ce que la population canadienne soit consultée. Depuis son entrée en fonction, la ministre du commerce international, Chrystia Freeland, s’est lancée dans une série de rencontres avec un nombre limité d’intervenants triés sur le volet, tout en invitant les CanadienNEs à soumettre leurs observations et commentaires dans une boîte électronique. Ceci n’est pas sans rappeler la façon de faire des libéraux sous le règne de Jean Chrétien lorsque se négociait la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) il y a 15 ans. Un tel procédé n’a de consultation que le nom.

La ministre Freeland prétend être en mode écoute, elle soutient que son gouvernement n’a pas encore pris une décision concernant l’entente. Mais son intention affirmée de signer le PTP et sa réticence à consulter les grands réseaux sociaux multisectoriels au pays -dont le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC), Common Frontiers et le Réseau pour un commerce juste- envoient un tout autre signal. Ceux-ci se désolent par ailleurs du fait que la ministre n’ait pas non plus daigné répondre à l’invitation du Sénat mexicain à participer, ce 28 janvier, à un dialogue international entre parlementaires sur le PTP avec des législateurs des États-Unis, du Pérou et du Chili, réunis à Mexico. Cet évènement s’inscrit dans le cadre d’une rencontre internationale plus large qui rassemble les mouvements sociaux et populaires des pays du PTP dans les Amériques qui sont inquiets des répercussions de cet accord mammouth.

En procédant à la signature d’un accord dont les bienfaits sont plus qu’incertains, le gouvernement canadien s’apprête en fait à accepter des restrictions importantes à la capacité de l’État de réguler pour l’intérêt public dans des domaines qui ne sont pas directement liés au commerce, comme la qualité de la production alimentaire, l’accès aux médicaments, la santé publique, les droits sur internet, l’environnement, les mesures de mitigation du changement climatique et les normes du travail. L’accord ouvre la porte à un nivellement par le bas des salaires et des conditions de travail, à une accélération des délocalisations et de la sous-traitance, contribuant ainsi à l’accroissement des inégalités au Canada et au sein des autres pays du PTP.

Le PTP inclut également le mécanisme controversé et antidémocratique de résolution des différends entre investisseur et État (RDIÉ) qui permet aux multinationales de poursuivre les gouvernements lorsqu’ils adoptent des politiques et réglementations d’intérêt public qui affectent leurs profits escomptés. De telles poursuites ignorent nos institutions juridiques et sont entendues devant un tribunal international de trois arbitres, non imputables et chèrement rémunérés, qui imposent d’énormes amendes aux gouvernements élus sans que l’on puisse faire appel de leurs décisions. Ces dispositions de protection excessive des investisseurs menacent la démocratie et les droits constitutionnels, outrepassent et effritent notre système de justice, et coûteront aux contribuables des dizaines de millions de dollars en compensations versées aux entreprises étrangères qui se prévalent du mécanisme RDIÉ. D’ailleurs, selon le rapport de l’expert des Nations-Unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, Alfred de Zayas, le RDIÉ contrevient à l’obligation des États de donner préséance aux droits humains et devrait être banni de tout accord commercial.

Le PTP est aussi un recul en ce qui concerne la protection de l’environnement. Le chapitre en la matière présente des objectifs peu ambitieux et n’inclut aucune obligation contraignante, à l’instar des accords de libre-échange de mouture plus ancienne. En effet, les libellés environnementaux sont vagues et sans mordant, bien en deçà des mesures solides que les pays doivent adopter pour mettre fin aux pratiques économiques néfastes pour l’environnement et protéger la terre, l’air, l’eau et la faune. Pire encore, l’accord a pour effet de rendre les gouvernements frileux au moment d’adopter de nouvelles politiques visant à contrer le réchauffement climatique.

Les organisations sociales du Canada et du Québec sonnent ici l’alarme devant l’empressement du gouvernement d’aller de l’avant en signant le PTP, malgré les graves inquiétudes de la société civile face aux impacts du PTP. Une récente étude de chercheurs de l’Institut sur le développement mondial et l’environnement de l’Université Tufts révèle que l’accord engendrera au Canada la perte de 58 000 emplois et creusera les inégalités de revenus. De son côté, le plus grand syndicat canadien dans le secteur privé, Unifor, signale que l’entente menace 26 000 emplois dans le secteur automobile de l’assemblage et dans celui des pièces automobiles. Le PTP est un mauvais accord pour le Canada et sacrifie l’intérêt public.

Le PTP, qui doit être ratifié tel quel, sans possibilité d’amendements, aura pour effet de restreindre pendant des décennies les pouvoirs du gouvernement et des éluEs d’agir dans l’intérêt du public. En définitive, la nouvelle génération d’accords de libre-échange et d’investissement comme le PTP visent moins à favoriser les échanges commerciaux qu’à ériger un nouveau système de règles qui accorde toujours plus de « droits » aux entreprises transnationales. Ils transforment profondément les rapports de force dans nos sociétés en opérant un glissement du pouvoir souverain des États et des institutions juridiques vers les puissants de ce monde.

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