Dossier

Lock-out : la tendance patronale de 2024

Les lock-out se sont multipliés en 2024, révélant une stratégie brutale des employeurs : affaiblir les syndicats, principaux défenseurs des droits des travailleuses et des travailleurs, et briser le rapport de force des employé-es.

Par Idriss Amraoui

Quand un employeur décrète un lock-out, il le fait avec la volonté d’imposer des conditions d’emploi spécifiques à ses salarié-es. Le lock-out est souvent, voire exclusivement utilisé pour forcer les syndiqué-es à consentir à des conditions qu’ils n’accepteraient pas en temps normal, et ses effets sont tangibles pour les lock-outé-es. Ces derniers se voient immédiatement privés d’accès à leur lieu de travail. Leurs salaires et autres avantages sont aussi instantanément coupés.

Et c’est révoltant. Certains de ces employeurs encaissent des profits records et leurs gestionnaires en bénéficient largement. Pourtant, quand leurs employé-es réclament leur juste part, les dirigeants ferment la porte à leurs demandes. Ils s’estiment être les seuls, avec les actionnaires, à pouvoir bénéficier des profits souvent faramineux réalisés par l’entreprise concernée.

 

Une question de pouvoir

Durant un lock-out, il n’est pas rare que l’employeur recoure à une firme de sécurité pour restreindre l’accès au lieu de travail. Qui dit lock-out dit de plus, bien souvent, judiciarisation des conflits. Des cabinets d’avocats sont mis à l’œuvre pour négocier et plaider les moindres détails à l’avantage des boss. Si l’on ajoute à cela la baisse, voire l’arrêt de la production, on réalise que les lock-out coûtent également très cher aux employeurs. Alors, pourquoi prendre cette voie ?

Il n’existe pas de réponse unique à cette question, mais il est évident qu’il s’agit, pour eux, d’une tentative d’asseoir leur pouvoir. Alors que la partie patronale va souvent pointer du doigt les demandes « excessives » de la partie syndicale, les faits démontrent que l’employeur cherche plutôt à casser le syndicat. Les cas concrets que nous offre 2024 illustrent bien cette dynamique.

 

Le zoo adoré en lock-out

Le Syndicat des salarié-es de la société zoologique de Granby–CSN, section maintenance et gardiens, représente environ 130 membres. Le Zoo de Granby est une quasi-institution qui fait connaître sa ville partout au Québec, et même au-delà. Les membres du syndicat regroupent des techniciennes et des techniciens vétérinaires et en soins animaliers, des naturalistes-interprètes, des mécaniciens, des menuisiers ainsi que des membres du personnel administratif. Il ne serait pas exagéré d’affirmer que le zoo est un véritable bijou qui fait rayonner, à travers le Québec, la ville où il a élu domicile.

L’employeur ne démontre toutefois pas le même degré de respect que la majorité des Québécoises et des Québécois ont envers le zoo et ses employé-es. Après de multiples séances de négociation, la partie syndicale a rapidement compris que son vis-à-vis n’avait aucune intention de traiter les demandes syndicales avec sérieux.

Les travailleuses et travailleurs du zoo ont donc décidé d’adopter et d’exercer des moyens de pression pour pousser leur employeur à négocier de bonne foi et à aboutir à un règlement. En réponse à cela, l’employeur a mis ses salarié-es en lock-out.

L’approche de la direction fait malheureusement partie d’une culture de manque de respect systémique au zoo. Les syndiqué-es ont été mis à la rue par l’employeur le 29 juillet dernier et étaient toujours en lock-out au moment d’écrire ces lignes. Certains ont rapporté qu’un cadre traite souvent des employé-es de « pelleteux de marde » ; d’autres patrons menacent les employé-es trop critiques de se faire changer de secteur, alors qu’ils ont développé un grand attachement envers les animaux de ce secteur en question. Le directeur du zoo, Paul Gosselin, ne semble d’ailleurs pas craindre de perdre l’expertise de ses employé-es. Ainsi a-t-il affirmé à des travailleuses et à des travailleurs en lock-out qu’il allait « en retrouver des bons » lorsqu’on lui mentionnait que plusieurs lock-outé-es risquaient de se chercher du travail ailleurs si une entente satisfaisante n’intervenait pas rapidement à la table de négociation.

Ces faits témoignent du mépris de la direction pour ses employé-es. Pour elle, le simple fait qu’ils demandent à être traités avec respect est une demande de trop. Le lock-out se veut, en quelque sorte, un rappel que la direction veut envoyer à ses employé-es. Un rappel selon lequel les syndiqué-es du zoo sont ses subordonnés et qu’ils seront punis s’ils continuent d’exiger d’être traités avec respect.

 

Prelco inc. change d’attitude

Prelco inc. est une compagnie située à l’est de Montréal qui se spécialise dans la fabrication de verre et de produits de vitrage pour bâtiments commerciaux et industriels. La négociation de renouvellement de conventions collectives se déroule habituellement de manière assez cordiale chez Prelco. Cette cordialité a toutefois pris le bord lors de cette ronde-ci. Après quelques séances de négo, la partie syndicale s’est rendue à l’évidence : l’employeur n’avait aucune intention d’acquiescer aux demandes de ses employé-es. C’est dans cet esprit que les membres ont décidé d’adopter des moyens de pression pouvant aller jusqu’à la grève. La réponse de l’employeur ? Lock-out immédiat.

Comme beaucoup de travailleuses et de travailleurs au Québec, les employé-es de Prelco ont subi une importante perte de pou­voir d’achat. Cette réalité n’a pourtant pas ébranlé d’un iota la partie patronale. Pour cette dernière, les demandes de la partie syndicale étaient excessives et risquaient de mettre la compagnie en péril. Pourtant, les dirigeants de Prelco n’ont montré aucune hésitation quant à l’embauche de cabinets d’avocats et de firmes de sécurité pour gérer le lock-out. Ces frais, pour l’employeur, en valaient la peine. Car c’est en payant à grands frais des avocats pour judiciariser tous les aspects du conflit qu’il espérait casser la solidarité entre les employé-es.

La direction de Prelco a préféré dépenser de façon outrancière pour mener des batailles juridiques avec le syndicat, payer des agents de sécurité 24 heures sur 24 afin de « protéger » les locaux et embaucher des sous-traitants qui livraient des produits de qualité moindre plutôt que d’accéder aux demandes légitimes du syndicat. En agissant ainsi, l’employeur a mis à risque ses relations avec ses employé-es et avec sa clientèle ainsi que sa propre réputation. Mais le coût est toujours justifié quand il est question de préserver son pouvoir et d’empêcher ses employé-es de bénéficier des retombées de l’entreprise. Malgré ces tactiques, les employé-es ont tenu bon et leur solidarité a fini par payer, avec l’obtention de 21,5 % d’augmentation salariale pour un peu plus de quatre ans.

 

Pousser l’odieux chez McKesson

En matière de lock-out, les dirigeants de McKesson Canada, filiale d’une compagnie pharmaceutique internationale à la situation financière fort enviable, ne donnent pas leur place non plus : ainsi ont-ils jeté à la rue la centaine d’employé-es de l’entrepôt de Drum­mondville, alors que ces personnes étaient déjà au pied du mur avec la fermeture annoncée de l’entrepôt en 2026. Pour les deux années restantes, ils tentaient d’obtenir des salaires décents à la hauteur de ceux de leurs collègues de l’entrepôt de Montréal, qui font le même travail. Après un mois de mobilisation, dont une visite au siège social situé dans la métropole, les travailleuses et les travailleurs ont enfin obtenu gain de cause.

 

Deux autres lock-out vicieux

Après quelques jours de grève exercés au printemps, le Syndicat des travailleuses et travailleurs du transport scolaire des Autobus des Cantons–CSN, dont l’employeur est Transport scolaire Sogesco, s’est pour sa part fait imposer un lock-out vicieux, le 21 juin 2024, dernier jour du calendrier scolaire. Ce déclenchement volontaire et conscient de l’employeur s’est concrétisé à la suite du rejet à 98 % d’offres jugées insuffisantes le 20 juin, la veille du lock-out. Sogesco avait lancé cette menace en pleine rencontre de négociation, le 18 juin, alors que les dirigeants étaient très conscients que cette manœuvre allait priver l’ensemble des salarié-es d’assurance-emploi pour la période estivale. Honte à eux !

Et puis, le 20 novembre dernier, un lock-out était décrété à l’hôtel Le Reine Elizabeth après le rejet de l’offre patronale par les employé-es. Les enjeux en litige ? La charge de travail et le recours aux agences privées. Triste comme novembre.

 

Le lock-out, une opération massue

Un lock-out frappe souvent un syndicat comme une bombe, suspendant les salaires et exerçant une pression extrême pour affaiblir les travailleuses et les travailleurs. Devant une telle opération, les syndicats peuvent riposter en intensifiant la solidarité entre membres, en organisant des actions de soutien et des levées de fonds, en menant des campagnes médiatiques pour dénoncer la manœuvre et en mobilisant le soutien des autres syndicats et de la communauté pour maintenir la pression sur l’employeur. Ils peuvent aussi explorer des recours juridiques si des abus sont identifiés dans la mise en œuvre du lock-out.

C’est durant ce type de conflit que se révèle on ne peut plus clairement tout le mépris de certains employeurs à l’égard de leurs travailleuses et travailleurs. « Heureusement, dans de telles circonstances, il restera toujours la solidarité syndicale comme rempart pour se prémunir contre de tels abus », de conclure Caroline Senneville, présidente de la CSN.

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