Camarades,
C’est en ces mots qu’un des grands présidents que la CSN a connu, Marcel Pepin, a ouvert le conseil confédéral du 4 octobre 1972, après que des dizaines de milliers de membres eurent quitté la CSN. Dans les années qui ont suivi, notre mouvement a connu d’autres défections, entraînées par un courant corporatiste et réducteur qui reniait le sens profond de notre action, du syndicalisme dont nous sommes porteurs.
Nous traversons les moments les plus difficiles depuis cette période. Nos presque 100 ans d’histoire nous rappellent toutefois cette nécessité de continuer de promouvoir un projet syndical et social visant à transformer les milieux de travail et la société pour faire progresser les travailleuses et les travailleurs, et la population en général.
Plus que jamais, nous ne devons pas dévier de notre trajectoire ni travestir notre action. Nous devons continuer de consacrer toutes nos énergies et tous les moyens que nous partageons au sein de notre confédération à réaliser cet objectif.
Pourquoi avons-nous subi la défection de 22 700 membres dans le secteur de la santé et des services sociaux lors du vote imposé par le gouvernement de Philippe Couillard ? Que s’est-il passé pour que des membres de syndicats affiliés à la CSN depuis des dizaines d’années décident de joindre d’autres organisations syndicales ? Pourtant nous disposons de tous les moyens, y compris sur le plan démocratique, pour faire face aux problèmes, pour corriger le tir le cas échéant, pour apporter des changements appropriés si les membres critiquent un aspect ou un autre de notre fonctionnement, de nos services.
J’en profite ici pour ouvrir une parenthèse. Vous avez certainement remarqué qu’aucune autre organisation syndicale n’a été invitée à l’ouverture de ce 65e Congrès. Ce n’est pas habituel. Certes, il est déjà arrivé que le président de la FTQ, par exemple, ne participe pas à notre congrès. Pour celles et ceux qui en sont à leur premier congrès, sachez que les présidences de la FTQ et de la CSQ ont toujours été invitées à s’adresser aux congressistes de la CSN. Ils l’ont d’ailleurs fait lors du 64e Congrès, à Québec. Je suis moi-même intervenu au congrès de la FTQ, plus tôt cette année.
Nous avons estimé préférable de ne pas les convier à notre rendez-vous triennal, en raison du contexte particulier découlant de ce vote dans la santé et les services sociaux. Et parce qu’il est préférable d’être entre nous. Toutefois, c’est une évidence que la mobilisation qui doit être menée pour stopper le démantèlement de l’État social du Québec commande que toutes les forces syndicales et populaires soient unies dans l’action. Il ne faudra pas mener ce combat en rangs dispersés, l’enjeu est de taille. Nous n’aurons pas le choix de poursuivre la lutte avec les centrales syndicales en temps et lieu et nous ferons valoir le point de vue de nos membres. Fin de la parenthèse.
Dans les instances auxquelles j’ai récemment participé, j’ai déclaré que les résultats des votes avaient provoqué une véritable onde de choc dans notre organisation. Et je pèse mes mots. Ce n’est pas la première fois que la CSN traverse une crise. Au cours de combats très durs que nous avons menés, souvent contre plus fort que nous, il nous est arrivé de tomber, de perdre aussi. Nous avons été en butte à de nombreuses attaques qui visaient à affaiblir la CSN et ses membres. Comme je l’évoquais en ouverture en citant le camarade Marcel Pepin, la CSN a perdu près du tiers de ses effectifs entre 1972 et 1976. L’épisode du conflit au Manoir Richelieu, marqué entre autres par la présence d’un agent d’infiltration dans nos rangs et par le consensus patronal et gouvernemental à vouloir tirer parti de la situation pour nous affaiblir davantage, est un autre moment douloureux que nous avons vécu.
À chaque fois, nous avons puisé en nous pour nous relever. On ne s’est jamais caché derrière des faux-fuyants.
Encore aujourd’hui, nous devons prendre la pleine mesure des résultats, analyser tous les aspects de la situation et dresser un bilan sans compromis ni complaisance des services que nous offrons, de notre action et des moyens que nous mettons en œuvre pour atteindre les objectifs que nous poursuivons. Nous devons le faire à visière levée. Je l’ai dit à plusieurs reprises : dans ce bilan et dans les solutions que nous proposerons, il n’y aura pas de vaches sacrées.
Nous devons tirer les leçons de ce maraudage pour éviter de nouvelles pertes, bien sûr, mais surtout pour renforcer le syndicalisme de la CSN et ses membres. Car la perte de ces milliers d’adhérents fragilise le mouvement en entier. Je tiens à vous rassurer, nous sommes déjà en train de réfléchir et d’agir pour mettre en place les conditions qui feront en sorte que la CSN puisse continuer à jouer pleinement son rôle dans les milieux de travail et dans la société.
Lors de cette campagne de maraudage, nous avons fait face à des organisations corporatistes et affairistes qui ont souvent présenté un piètre visage du syndicalisme. Le coût du régime d’assurance collective et le niveau de la cotisation syndicale seraient-ils les principales raisons qui motivent des travailleuses et des travailleurs à se syndiquer ou à adhérer à un syndicat ? Le syndicalisme dans la santé et les services sociaux se serait-il travesti à ce point ?
Si de tels arguments ont trouvé écho dans nos rangs, c’est que nous éprouvons beaucoup de mal à valoriser le syndicalisme que nous portons et les services que nous offrons à tous les niveaux de notre organisation. Si nous n’en prenons pas acte, nous aurons beau dénoncer les autres organisations syndicales et la campagne qu’elles ont menée, cela ne nous permettra ni de poser le bon diagnostic ni de poser les bons gestes.
Nous avons l’obligation de chercher à comprendre pourquoi, par exemple, les infirmières, les professionnels et les techniciennes de ce secteur ont choisi de quitter notre organisation pour des syndicats qui limitent principalement leur rôle à défendre les stricts intérêts de leurs membres.
Il faut défendre les intérêts de nos membres. Nous devons le faire. C’est ce que nous faisons tous les jours. Mais notre travail militant ne se réduit pas à valoriser les intérêts d’une catégorie d’employés, et surtout pas en les opposant à toutes les autres pour le seul bénéfice d’une minorité. Non, il faut avancer collectivement, il faut agir aussi pour l’intérêt du plus grand nombre. Le syndicalisme doit toujours viser la solidarité, non la division. « Le progrès de chacun repose sur le progrès de tous », disait Marcel Pepin.
Nous avons choisi solidairement de mettre en commun nos moyens pour soutenir ceux qui ne pourraient progresser autrement. C’est ce que nous faisons à la CSN, par la réunion de travailleuses et de travailleurs de divers horizons, provenant de milieux différents. C’est le sens de notre confédération : offrir des services professionnels, un Fonds de défense professionnelle, une péréquation, une fiscalité à l’interne équitable.
Comment la syndicalisation des CPE, des centres d’hébergement privés, des unités syndicales de moins de 20, de 10 travailleuses et travailleurs serait-elle possible s’il n’y avait que des organisations syndicales qui ne représentent qu’une ou des catégories spécifiques d’emplois ?
Certaines d’entre elles se targuent d’être combatives. La question se pose : en quoi leurs luttes permettent-elles à d’autres de progresser, et pas seulement à leurs seuls membres ? Si elles le sont vraiment, combatives, je les invite à joindre nos rangs. Tout en poursuivant les luttes pour leurs membres, comme le leur permettrait l’autonomie dont elles bénéficieraient à la CSN, elles participeraient au projet d’une organisation syndicale ouverte et solidaire tout en soutenant concrètement d’autres syndicats en négociation. Le syndicalisme ne s’en porterait que mieux. Ce sont là deux des grandes forces de la CSN, l’autonomie et la solidarité.
Le syndicalisme corporatiste a depuis longtemps démontré ses limites en confinant à l’isolement ses promoteurs et en divisant la classe des travailleuses et des travailleurs. Personne, ici dans cette salle, ne croit que c’est ce type de syndicalisme qui fera reculer les réformes en santé et en éducation, ou qui permettra une meilleure défense des intérêts des travailleuses et des travailleurs dans les accords complexes de libre-échange, par exemple. Parce que c’est le syndicalisme de la CSN que vous avez choisi et que vous défendez.
Cependant, une forme de corporatisme est aussi présente dans nos rangs. C’est pourquoi il est de notre devoir de toujours rappeler que si, en effet, le syndicat doit répondre aux besoins de ses membres, à partir de leurs réalités, le syndicalisme à la manière CSN embrasse plus large et permet de mener des luttes qui ne seraient pas possibles autrement. Je parle ici des batailles menées par des syndicats pour les conditions de travail et de vie de leurs membres et des grandes mobilisations sur le front social et politique qui ont donné, par exemple, la loi sur l’équité salariale, les services de garde éducatifs, le régime québécois d’assurance parentale et plus loin de nous la loi anti-briseurs de grève.
Cela dit, il faut procéder à une analyse en profondeur des résultats de ces votes afin d’agir en conséquence, et promptement. Ces résultats exigent que nous nous interrogions sur le sens de notre action syndicale. Nous devons le faire avec le courage nécessaire pour identifier les raisons qui nous ont menés à ces conséquences décevantes. Il y a la montée de l’individualisme, qui aboutit au renforcement des intérêts particuliers. Il y a le syndicalisme vu comme une police d’assurance et non plus comme un moteur de changements. Nous devrons faire un retour sur nous-mêmes, sur ce qui a pu nous échapper en chemin.
Réaliser cet exercice à visière levée implique de prendre en compte les débats et les suites des décisions prises par le mouvement sur la juridiction de ces catégories de personnel, y compris lors de notre 62e congrès, en 2008. Depuis plus de cinquante ans, nous tentons d’aménager un espace dans lequel les professionnels et les techniciennes de la santé et des services sociaux se sentiraient à l’aise pour mener à bien un type de syndicalisme qui est toujours à réinventer. À la lumière des résultats des votes, force est de constater que nous avons échoué. Nous ne pouvons échapper à nos obligations, il faut répondre à leur questionnement.
Il faut aussi s’interroger sur les raisons qui ont poussé d’autres milliers de nos membres dans les catégories 2 (personnel paratechnique, auxiliaire et de métiers), 3 (personnel de bureau et de l’administration) et même de la 4 (techniciennes et professionnelles) à choisir le SCFP et le local 298, deux organisations qui n’offrent pas à leurs sections locales une autonomie comparable à la nôtre, alors que nous étions largement majoritaires.
Dans quelle mesure les services que nous avons la responsabilité de donner à nos syndicats affiliés sont-ils en cause ? Dans certains endroits, y a-t-il eu un roulement trop important de conseillers syndicaux et pas suffisamment de stabilité ? La qualité des services en a-t-elle souffert ?
Il nous faut aussi considérer l’état de la vie syndicale locale et intervenir si la situation le commande. L’absence de vie syndicale ou l’attitude de certains représentants locaux à l’égard de leurs propres membres et le rôle qu’ils jouent dans les établissements ont-ils participé à la défection de membres qui ont trouvé plus simple de changer d’affiliation plutôt que de se nommer un comité exécutif qui les représenterait mieux, à leurs yeux ?
Certains et certaines ont-ils tout simplement eu le goût de « changer pour changer », comme si toutes les organisations syndicales étaient identiques ? Dans cette crise du syndicalisme que nous traversons, alors que les victoires sont rares, surtout dans le secteur public qui est soumis aux pressions du sous-financement et des compressions depuis plus de 25 ans, certains et certaines se sont-ils dit qu’à tout prendre, pourquoi ne pas tout simplement changer de syndicat ? Qu’ils ne perdraient rien à adhérer aux organisations qui promettent une cotisation syndicale inférieure et un coût plus bas du régime d’assurance collective ?
Le résultat de la dernière négociation du secteur public a-t-il été perçu comme un échec de la CSN, alors que c’est le Front commun qui a négocié l’entente qui est intervenue ?
Cette entente n’a certes pas répondu à toutes les attentes des salariés de l’État. Cependant, nous demeurons convaincus que la formidable mobilisation des syndiqués du secteur public, malgré les limites de la loi sur les services essentiels qui vise à la réfréner, a permis de faire éclater le cadre budgétaire du gouvernement. S’il ne s’agissait pas de l’entente du siècle, le Front commun a estimé qu’il n’était pas possible d’obtenir davantage. La CSN a toujours joué un rôle de premier plan au sein du Front commun, y compris lors de cette négociation, et ce, à toutes les étapes. Nos syndicats ont fait un remarquable travail militant de mobilisation au cours de cette période. Je peux vous confirmer que sans nos interventions jusque dans les derniers moments de cette négociation, le règlement aurait été inférieur.
Il est un fait que les principales critiques de cette entente sont venues de l’intérieur de nos rangs. Dans les milieux de travail, dans les assemblées, sur les médias sociaux, la CSN et ses porte-parole ont été critiqués plus que les autres. Les commentaires étaient souvent incisifs, voire assassins. L’analyse des résultats des votes, et de leurs causes, ne peut faire l’économie d’une réflexion sur cette période.
Le réveil pourrait être brutal pour certains quand ils réaliseront que l’autonomie qui leur était chère à la CSN n’existe plus au sein de leur nouvelle organisation. Ils pourraient aussi comprendre les raisons d’une basse cotisation syndicale, en constatant l’absence de services adéquats. Ils se rendront peut-être compte qu’il y a une conséquence à un faible coût du régime des assurances, en découvrant les limites de leurs couvertures.
Toutefois, ce n’est pas ce qui importe en ce moment. Je le répète, il nous faut porter un regard non complaisant sur notre organisation. Nous avons la responsabilité de le faire avec toutes les personnes impliquées et les syndicats concernés afin de prendre les décisions qui feront en sorte que les choses changent à tous les niveaux de notre mouvement pour inverser la situation.
La démarche à laquelle nous sommes conviés implique que la CSN soit à l’œuvre, dès maintenant, pour soutenir les militantes et les militants et les syndicats qui ont fait le choix de notre organisation. Aux côtés des deux fédérations présentes dans la santé et les services sociaux et des conseils centraux, nous devons nous assurer que ces derniers reçoivent les services qui sont attendus d’eux et qu’ils trouvent les réponses aux questions qu’ils se posent.
J’irai plus loin. Le regard que nous poserons devra s’étendre à l’ensemble de notre mouvement. Ne nous contons pas d’histoire. Ailleurs que dans la santé, la vie syndicale n’est pas non plus toujours à la hauteur du dynamisme souhaité et nécessaire pour surmonter les défis qui se présentent à nous et pour faire face aux attaques que nous subissons dans les milieux de travail et dans la société. L’un des baromètres de la vie syndicale est la participation des membres à leur assemblée générale. Force est de constater qu’elle n’est pas toujours à la hauteur de ce qu’on pourrait espérer.
Quelles en sont les causes ? Elles peuvent être multiples : un trop grand éparpillement dans les campagnes confédérales qui peuvent alourdir et décourager les militantes et les militants ? Un travail syndical qui se bureaucratise au point que les représentants locaux sont coupés de leur base ? Des services incomplets qui ne satisfont pas les membres ?
La pertinence du syndicalisme est constamment remise en cause par les haut-parleurs de la droite et du patronat. Ce n’est pas d’hier. Mais les attaques sont plus virulentes que jamais. Les travailleuses et les travailleurs, dont nos membres, sont des citoyennes et des citoyens à part entière. Ils sont de la société et certains peuvent être sensibles aux arguments antisyndicaux. Après tout, les votes au PLQ et à la CAQ sont venus de toutes les couches de la société.
Si le syndicalisme a perdu de ses vertus aux yeux de certains, il est de notre devoir de le revaloriser. C’est le sens qu’il faut donner à la proposition sur la vie syndicale qui vous sera soumise plus tard aujourd’hui. Comment maintenir une vie syndicale légitime, démocratique, qui réponde aux nouvelles réalités de notre société et du monde du travail ? La vie syndicale transcende notre organisation. Elle est une nécessité. Et nos assemblées générales locales, qui se nourrissent des fruits d’une vie syndicale active, en sont le reflet. C’est dans ses assemblées que le syndicat tire sa force. Elles sont le lieu de débats qui doivent aboutir à une cohésion qui unit le syndicat pour se présenter plus fort devant le patron, devant un gouvernement. C’est le lieu où la solidarité s’exprime d’abord par le ralliement et qui guidera ensuite son action.
C’est le lieu aussi où se vit l’un des grands principes que nous chérissons et qui renforce cette action : l’autonomie. Permettez-moi de vous rappeler un extrait de notre Déclaration de principe :
« Cette autonomie s’enrichit d’un souci permanent d’organiser la solidarité avec les autres composantes du mouvement. Des syndicats libres, mais responsables de leurs décisions et de leurs actions, constituent la base du fonctionnement démocratique et solidaire de ce mouvement. »
C’est cette autonomie qui permet aux syndicats de se donner des perspectives qui leur sont propres. Ils le font en tissant des solidarités au sein de notre mouvement qui leur permettront de progresser tout en participant à l’avancement des autres syndicats. Une vie syndicale dynamique à la CSN, c’est donc aussi un incessant travail militant pour renforcer à la fois cette autonomie locale, cette solidarité et notre mouvement.
Car, lorsque nous affrontons les patrons ou les gouvernements, c’est par la solidarité confédérale que nous avons la plus grande possibilité de succès. Qu’on ne se trompe pas, l’autonomie des organisations affiliées, les syndicats, les conseils centraux et les fédérations, n’a rien à voir avec une quelconque indépendance. Les décisions des uns ont un impact sur les autres.
Nous devrons nous mettre à la tâche dès la fin de notre congrès pour assurer aux travailleuses et aux travailleurs que la CSN est l’organisation syndicale la plus en mesure de les faire progresser. Dans un discours prononcé il y a 30 ans, notre camarade Gérald Larose, qui a présidé notre centrale durant les années 1980 et 1990, rappelait que la composition de la CSN contribuait à fabriquer « un rapport de forces global qui s’exerce en grande partie parce que la CSN regroupe en son sein l’éventail le plus large de toutes les catégories de salariés du plus grand nombre de secteurs. C’est de cette dynamique de représentation que la CSN tire le crédit moral qu’on lui accorde en négociation. » Et j’ajouterais : tire toute sa force de cette solidarité ainsi créée.
Nous le verrons plus tard avec la rétrospective des luttes des trois dernières années, nos membres ont livré, avec l’appui du mouvement, des batailles au quotidien contre l’arbitraire et pour obtenir plus de dignité et de respect. Ici aussi, il s’agit de démocratisation, celle de nos lieux de travail.
Cela s’est traduit de multiples façons. Souvent par des conflits, parfois par un exercice de concertation, mais toujours avec cet élan et cette détermination de s’affranchir un peu plus de conditions aliénantes et oppressantes. C’est pouce par pouce que nous avançons. Il nous est arrivé d’être bloqués, voire de reculer. Nous devons alors puiser dans la solidarité pour nous remettre à avancer.
C’est ce qu’ont fait les camarades de la scierie de Rivière-aux-Rats, près de La Tuque. Il y a quelques années, ils ont agi pour permettre de sauver leur usine et leurs emplois. Ils n’ont pas concédé des conditions de travail de gaieté de cœur. Ils l’ont fait dans l’intérêt supérieur des membres du syndicat. Dès lors qu’ils ont fait le débat dans leur assemblée générale, ils se sont ralliés autour d’objectifs qu’ils ont poursuivis sans relâche. Ils n’ont pas fait face qu’à leur employeur. Une autre organisation syndicale a voulu profiter d’une situation qu’elle jugeait à son avantage pour les marauder. Ces travailleurs et ces travailleuses, avec l’appui de toutes les ressources de la confédération, ne se sont pas laissés distraire de leur but. Récemment, ils ont cherché à bénéficier de la nouvelle situation financière de leur employeur. Ils ont aujourd’hui réussi à obtenir gain de cause, incluant un rattrapage salarial.
Les 400 membres d’Olymel à Saint-Simon ont attendu près de 10 ans pour obtenir justice. Le règlement inclut un montant de 9,5 millions de dollars et une nouvelle convention collective pour la vingtaine de travailleuses et de travailleurs qui reprendront le boulot dans le nouvel entrepôt. Une telle entente aurait-elle été possible s’ils avaient été membres d’une autre organisation syndicale ? Permettez-moi d’en douter. Les frais juridiques, notamment, en auraient rebuté plusieurs ou alors la facture aurait été refilée aux syndiqués.
Au nom du comité exécutif de la CSN, je salue la détermination et l’acharnement dont nos membres font preuve pour plus de respect.
La CSN n’est pas la seule organisation qui lutte au Québec et au Canada. Ce qui nous distingue des autres, c’est la manière. Et les deux syndicats que je viens de citer illustrent bien la manière CSN.
Notre mouvement est tissé serré. L’autonomie du syndicat, la participation des membres, la solidarité sont des valeurs essentielles qui guident notre action. Chez nous, un syndicat n’est jamais seul. Ainsi, le combat mené par des travailleuses et des travailleurs pour se faire respecter devient celui de tous les syndicats de la CSN.
Cette solidarité concrète prend forme dans les moyens déployés pour soutenir leur action : dans leur établissement, devant leur employeur ; avec les autres syndicats d’une même région, au sein des conseils centraux ; avec les syndicats du même secteur professionnel ou sectoriel dans les fédérations ; et avec l’ensemble des syndicats réunis dans la confédération elle-même.
Ensemble, nous nous donnons des moyens pour progresser, pour appuyer les combats qui se mènent par la mise en commun des ressources. Cette solidarité entre tous les membres d’une centrale syndicale active dans toutes les sphères d’activité, et dans toutes les régions, a permis des avancées extraordinaires dans les milieux de travail et dans la société québécoise. Mais nous vivons actuellement une période difficile.
Au cours du dernier mandat, le Québec a été malmené. Les services publics et les programmes sociaux l’ont été dramatiquement. Les régions y ont goûté. Les travailleuses et les travailleurs aussi, du fait de la montée de la précarité, de la diminution du taux de syndicalisation et de l’effet des compressions dans les grands réseaux publics sur les conditions de travail.
Les femmes ont particulièrement subi les foudres de l’austérité. Les groupes de défense et les organisations populaires ont été affaiblis par les politiques restrictives des libéraux de Philippe Couillard. En sabrant leur financement, ils ont menacé leur existence même. Les plus démunis ont subi une autre réforme de l’aide sociale et le gouvernement a nié la nécessité de hausser le salaire minimum à un niveau qui permettrait de sortir de la pauvreté.
Le syndicalisme québécois a aussi été attaqué et il s’en sort d’autant plus amoché avec le résultat des votes imposés dans le réseau de la santé et des services sociaux.
Lorsque le 64e congrès a pris fin, en 2014, nous nous attendions à ce que le gouvernement Couillard profite de sa majorité à l’Assemblée nationale pour imposer sa vision. Mais jamais nous n’avions prévu qu’il bulldozerait les fondements de notre État social, ceux qui révèlent l’un des caractères distincts du Québec, en le présentant aux yeux des autres pays comme un modèle sur nombre d’acquis, comme les services de garde éducatifs et l’ensemble du filet de sécurité sociale. Il est un fait que nos services publics et nos programmes sociaux nous ont aidés à traverser la crise financière et économique de 2008 mieux que beaucoup d’autres sociétés. Notre richesse est mieux partagée ici que dans plusieurs sociétés. Mais depuis l’élection de ce gouvernement les choses changent, et pour le pire.
Souvenons-nous de l’engagement de Philippe Couillard, lors de la campagne électorale, de se faire le promoteur du dialogue social. Il n’y a jamais eu de dialogue. Seulement un long monologue plaintif assis sur les dogmes du néolibéralisme, dont celui de réduire le déficit, d’équilibrer le budget québécois… En un mot : sabrer, comprimer, couper, ratatiner.
Sans aucune gêne, le Parti libéral nouvellement élu, a appliqué un programme semblable à celui de la CAQ. Nous aurions pu ressortir le slogan lancé au gouvernement Charest à l’automne 2003, « J’ai jamais voté pour ça », tant il s’est écarté de ses engagements.
Le plus fort de l’opposition contre l’austérité n’est pas venu des partis d’opposition. Il est venu de la rue, dès la fin de l’été 2014, avec la fronde contre les régimes de négociation et de retraite dans le secteur municipal et du transport collectif, des acquis négociés et convenus de bonne foi avec les municipalités et les sociétés de transport. Au bout du compte, l’adoption du projet de loi 110 a démontré que le point de vue des maires de Montréal et de Québec l’a emporté sur les aspirations des travailleuses et des travailleurs à obtenir de meilleures conditions de travail. Car le rapport de force est dorénavant déséquilibré, à l’avantage des villes.
Cependant, nous continuons de faire notre travail syndical pour surmonter ces nouvelles embûches. Plusieurs syndicats de la Fédération des employées et employés de services publics, dont les conducteurs et les conductrices du Réseau de transport de la Capitale et des employés de municipalités de la Mauricie, notamment, ont réussi de belle manière à maintenir leurs acquis et à progresser, malgré cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête. Ils ont démontré qu’il ne faut jamais baisser les bras. C’est aussi ça, la manière CSN.
Nous avons participé à l’émergence du collectif syndical et populaire Refusons l’austérité qui s’est constitué dans l’action contre les politiques annoncées par l’équipe Couillard. C’est sans aucune prétention, mais avec une immense fierté que je peux affirmer que les militantes et les militants de la CSN ont permis à cette mobilisation d’atteindre des sommets dans toutes les régions du Québec. Pour permettre ce mouvement d’opposition, nous avons consacré des ressources considérables à cette campagne contre l’austérité, bien plus qu’aucune autre organisation.
En cela, nous avons continué à assumer notre rôle, à partir de nos positions confédérales et des moyens dont nous disposons. Nous avons soulevé les enjeux découlant des mesures appliquées méthodiquement par les libéraux à Québec pour répondre aux diktats de leurs alliés naturels : les associations de patrons, les agences de notation et tous les autres du monde des affaires. Le 1er mai 2015 a certainement marqué l’histoire de la Fête internationale des travailleuses et des travailleurs d’ici alors que des manifestations, des rassemblements et des mobilisations sous toutes les formes ont embrasé simultanément les régions du Québec. Du jamais vu !
Nous n’avons pas réussi à faire reculer les libéraux. Ne nous berçons pas d’illusions, les conditions n’étaient certes pas réunies pour freiner un tel gouvernement majoritaire en début de mandat. N’oublions surtout pas que le PLQ et la CAQ ont tout de même réussi à rallier un fort pourcentage de l’électorat. Le pouvoir de la droite est bien campé à l’Assemblée nationale et les libéraux en tirent certainement une légitimité.
Dans un formidable exercice d’éducation populaire, nous avons cependant réussi à détricoter le double discours des libéraux de Couillard en expliquant les dangers de leurs mesures. Ils ont cessé de parler de « rigueur » en reconnaissant l’austérité. Ils ont aussi fini par admettre que leurs coupes draconiennes ont un impact sur la qualité et l’accessibilité des services à la population. Il ne s’agissait pas ici d’imprécisions de leur part. Il s’agit à l’origine d’un mensonge. Il n’y a pas d’autre mot.
Car, dès lors qu’ils ont lancé leur train de réformes, les surplus ont commencé à s’accumuler aussi tôt que durant l’année budgétaire 2015-2016. Avant les versements au Fonds des générations, c’est plus de 6 milliards de dollars qui ont été engrangés sur le dos de la population, mais aussi sur celui des travailleuses et des travailleurs des services publics, dont la charge de travail n’a cessé de s’alourdir.
À l’évidence, le premier objectif du gouvernement Couillard ne concernait pas tant une « saine gestion des finances publiques » que le désengagement de l’État de ses missions historiques. Il aurait très bien pu revenir à l’équilibre budgétaire sur une plus longue période, comme le font d’ailleurs les gouvernements ontarien et canadien.
Il aurait dû tenter d’équilibrer le budget du Québec en recherchant de nouveaux revenus, notamment en établissant une fiscalité plus équitable et en favorisant la création d’emplois de qualité. Il a fait d’autres choix. Car, au contraire, les charges fiscales des entreprises n’ont cessé de diminuer : depuis plus d’une dizaine d’années, les gouvernements ont réduit les taux d’imposition sur l’investissement et les profits sans que cela n’ait d’effets significatifs sur les investissements des entreprises. Encore dernièrement, la cotisation des employeurs a été abaissée pour financer l’application de la Loi sur les normes du travail. Évidemment, la question de l’évasion fiscale n’est jamais abordée sérieusement… Nous l’avons dit : nous faisons face à un gouvernement patronal.
Et nous, que recherchons-nous ? Nous revendiquons plus de démocratie, plus de justice et plus d’équité. Nous voulons que les hommes et les femmes vivent mieux, qu’ils améliorent leurs conditions de vie et leurs conditions de travail au quotidien. Dans la société et dans les usines, les écoles, les entrepôts, les commerces, les hôpitaux, les hôtels, les entreprises, partout ! Comme travailleuses et travailleurs, mais aussi comme citoyennes et citoyens.
Il est possible de faire les choses autrement. Il est possible d’améliorer la qualité de vie de l’ensemble de la population, de faire en sorte que personne ne soit laissé pour compte.
Il y a des choix derrière les décisions qui sont prises. Les difficultés qui se dressent devant nous jour après jour et qui briment les possibilités d’améliorer notre sort ne sont pas une fatalité. Elles découlent notamment des politiques antisociales votées à Québec et à Ottawa. Elles peuvent aussi résulter de décisions arbitraires dans les milieux de travail, d’un aveuglement obtus à refuser de changer des conditions qui pourraient pourtant favoriser la conciliation famille-travail-études ou de verser des salaires décents, par exemple.
Ces patrons qui se font les promoteurs de la précarité dans l’emploi, de l’iniquité de traitement, qui bafouent souvent les règles élémentaires de santé et de sécurité du travail, sont les mêmes qui réclament de toujours diminuer leurs impôts et qui font ainsi porter une part plus grande du financement des services publics et des programmes sociaux sur le dos des contribuables. Ce patronat, par la bouche de ses associations, prône que l’État se déleste de ses responsabilités. Ce faisant, il intervient en faveur des mesures d’austérité et il appuie en ce sens les compressions. Les intérêts de ces patrons, des banquiers, des financiers, s’accordent parfaitement avec ceux qui gouvernent actuellement à l’Assemblée nationale.
Ce n’est pas le Québec que nous voulons. C’est celui que nous combattons et que nous continuerons de combattre sur la base de nos valeurs, de nos principes, de notre projet et de la solidarité qui nous unit. La CSN est une organisation de lutte et l’action que nous menons est au cœur du rapport de force qui se joue dans les milieux de travail, mais également qui se déploie dans la définition du rôle de l’État. C’est le sens qu’il faut donner aux travaux qui nous occuperont durant ce 65e Congrès avec la présentation du manifeste et du plan d’action qui vous sera présenté.
Rappelons que le manifeste et le plan d’action sont le fruit de la démarche de consultation qui s’est déroulée auprès des syndicats du mois d’octobre 2016 à la mi-février 2017. Près du quart des syndicats ont répondu, soit plus de 400. En lançant cette consultation, nous avions deux grands objectifs : impliquer les syndicats dans les orientations et les actions à mettre en œuvre pour le prochain mandat, et améliorer nos processus démocratiques. Nous avons aussi souligné que cette démarche s’inscrivait dans la lutte pour s’opposer à l’austérité que nous avons engagée pour contrer le gouvernement libéral de Philippe Couillard.
Nous avons mis au jeu neuf revendications regroupées sous cinq thèmes : sécuriser le revenu tout au long de la vie; développer l’économie et créer des emplois de qualité; lutter contre les changements climatiques; consolider nos services publics; renforcer la démocratie.
Ces revendications ont pratiquement toutes été débattues et votées lors de congrès ou d’instances antérieures. La consultation nous a toutefois permis de valider leur actualité. Le manifeste a été élaboré autour de ces grandes revendications qui ont été appuyées par une très large majorité des syndicats consultés.
Si l’on souhaite faire une différence lors de la prochaine élection, susciter des débats, alimenter la réflexion et intervenir efficacement pour que les choses changent, il faut rejoindre encore plus de monde. Cela est d’autant plus vrai que dans la majorité des cas, la consultation s’est arrêtée au comité exécutif ou au conseil syndical. Le plan d’action qui vous sera présenté a été construit dans cet esprit.
Ce n’est pas vrai que nous allons nous replier sur nous-mêmes et limiter notre action à la convention collective. Bien sûr, les relations de travail demeurent la priorité de notre mouvement. Mais la CSN a toujours étendu son action sur le front social et politique, car les conditions de vie ne peuvent pas toutes être améliorées par la négociation collective avec son patron, même lorsqu’il s’agit du gouvernement. Comme je le mentionne souvent, l’enseignante devient une citoyenne dès la fin de sa journée de travail.
Une chose est certaine, si le Parti libéral de Philippe Couillard est réélu lors des prochaines élections, prévues pour octobre 2018, il laissera les forces du marché déterminer les emplois de demain, précaires, atypiques, sous-payés, sans aucune vision du développement économique ni de celui des régions. Ou bien, il mettra en place d’odieux mécanismes pour imposer les conditions de travail, comme il l’a fait dans le secteur de la construction, pour les juristes de l’État, pour le secteur municipal et celui du transport collectif.
Il continuera à déconstruire l’État social du Québec. Il poursuivra sa remise en question des programmes sociaux et de l’ensemble des services publics. Il persévèrera sur la voie du déficit zéro, accentuant la spirale de l’austérité qui deviendra alors permanente, au risque de créer un déficit social pour les prochaines générations.
Et alors, nous serons isolés dans les combats qu’il faut mener : les employés municipaux, celles et ceux de la SAQ, des buanderies publiques des hôpitaux menacées de privatisation, les ouvriers et les ouvrières du secteur manufacturier à la merci de la mondialisation et des changements technologiques ainsi que tous les autres laissés-pour-compte de cette économie de jobines qui prend forme au détriment d’emplois de qualité.
C’est pourquoi il est essentiel de promouvoir un syndicalisme de centrale comme la CSN et se donner des perspectives syndicales et politiques, à partir de la réalité des travailleuses et des travailleurs dans leur milieu de travail, en toute solidarité.
Camarades,
Nous continuerons à engager des débats. Nous les mènerons à la manière CSN, c’est-à-dire qu’une fois que les opinions se seront exprimées, que les idées auront été débattues, que des orientations auront été décidées, en toute connaissance de cause, nous nous rallierons. Car c’est lorsque nous nous éloignons de ces valeurs de base que nous connaissons des problèmes.
Voir loin, c’est regarder en avant ! C’est fixer l’horizon pour identifier les luttes à faire. C’est identifier avec qui on veut les mener, ces luttes.
Pour viser juste, il faut avoir les deux pieds bien ancrés dans le réel. Pour viser juste, il faut regarder dans la bonne direction.
Pour viser juste, il ne faut pas se tromper de cible à atteindre.
Voir loin, viser juste. Voilà un programme exigeant. Mais c’est aussi un programme stimulant, capable de rassembler les volontés, de réunir les forces qui veulent du changement.
Nous, Notre mouvement, n’en sommes pas à nos premières difficultés depuis 1921. Nous en avons surmonté d’autres, ensemble et solidaires. Il y a trop à faire pour ne pas se cracher dans les mains et repartir mener les combats qui nous attendent. Notre mouvement a subi un choc. Il arrive que les chocs soient salutaires, quand on a le courage de regarder en face ce qui s’est passé. Quand on a le courage d’en analyser les causes et les effets.
Ce courage, nous l’avons. Il est dans l’ADN de ce mouvement. Les militantes et les militants de toutes les époques ont affiché mille fois un courage à toute épreuve. Lorsqu’ils ont gagné le respect des employeurs dans des grèves très dures. Lorsqu’ils ont forcé des gouvernements à faire marche arrière. Lorsqu’ils sont descendus dans la rue, par dizaines de milliers pour faire front, pour faire face, pour s’opposer, pour braver.
À la CSN, les militantes et les militants d’aujourd’hui sauront être à la hauteur des militantes et des militants d’hier, comme ces derniers l’ont été pour celles et ceux qui les ont précédés.
Bon congrès !
Vive la CSN !